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Port de signes religieux

A la suite notamment du rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (Rapport Stasi), le parlement a voté la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Une circulaire du 18 mai 2004 précise ses modalités d’application (voir sur ce sujet la rubrique Religion et société). Dans la jurisprudence, la loi du 15 mars 2004 a parfois été appliquée de façon extensive. Par exemple, une collégienne qui portait « une longue jupe noire couvrant son pantalon et un large bandeau masquant une grande partie de ses cheveux » a été exclue d’un établissement scolaire. La question du port de signes religieux par les parents accompagnant les élèves lors des sorties scolaires s’est également posée à de nombreuses reprises. Le 20 septembre 2013, dans une étude demandée par le Défenseur des droits, le Conseil d’État s’oppose à une telle extension du principe de laïcité, les personnes privées bénéficiant de la liberté de manifester leurs convictions. Cette position sera suivie dans la jurisprudence.
Faisant suite aux travaux de la Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national (voir Débats actuels octobre 2010), la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public vise notamment à interdire le voile intégral dans tous les espaces publics (voies publiques, lieux ouverts au public et lieux affectés à un service public, art. 2). Le non-respect de cette interdiction est sanctionné d’une amende d’un montant maximal de 150 euros, à laquelle peut s’ajouter ou se substituer l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté (art. 3). La loi réprime par ailleurs le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes, en raison de leur sexe, de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir (un an d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, art. 4).
Une circulaire du 2 mars 2011 précise les modalités d’application de cette interdiction (champ d’application de la loi, conduite à tenir dans les services publics, information du public).
Dans sa décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a considéré que « le législateur a estimé que de telles pratiques [dissimulation du visage] peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; [il] a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ». Il juge que cette loi procède à une conciliation qui n’est « pas manifestement disproportionnée » entre la sauvegarde de l’ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés. (Voir aussi, à propos des premiers arrêts de la Cour de cassation sur le port d’un voile intégral, la rubrique Débats actuels mars 2013). Le 1er juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée sur la conformité de cette restriction de liberté à la Convention européenne des droits de l’Homme : par une interprétation large des buts légitimes énumérés dans la Convention (la protection des droits et libertés d’autrui) que la Cour a déclaré, sur la base des exigences liées au vivre-ensemble, la loi conforme à la Convention.

La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires codifie un principe établi de longue date : la neutralité des fonctionnaires qui leur interdit, notamment, de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs missions. Par une décision rendue le 19 décembre 2017, la Cour administrative d’appel de Versailles juge que le port d’une barbe par un stagiaire dans un hôpital public n’est pas considéré comme un signe religieux et ne porte donc pas atteinte au principe de neutralité dans les services publics.

Par ailleurs, la question du port de signes religieux par les élèves infirmiers s’est posée. Par un arrêt rendu en 2017, le Conseil d’État (CE, 28 juillet 2017, Boutaleb et a., n° 390740) distingue deux cas. Dans le premier cas de figure, l’élève suit un enseignement dans un lycée public : la loi du 15 mars 2004, qui s’applique dans l’espace scolaire et pas uniquement aux élèves, est applicable. Si l’élève infirmier suit un enseignement dans un institut de formation, il n’est libre de manifester ses convictions – les usagers du service public de l’enseignement supérieur étant libre d’extérioriser leurs convictions dans les limites de l’ordre public et du bon déroulement des enseignements. Dans le second cas, l’élève infirmier est en stage : s’il est en stage dans un établissement chargé d’une mission de service public, il doit respecter l’obligation de neutralité pesant sur les agents publics – une obligation déclarée conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, 26 novembre 2015, Ebrahimian c. France, n° 64846/11). En revanche, si l’élève infirmier fait son stage dans un établissement privé non chargé d’une mission de service public, il n’est pas soumis à l’obligation de neutralité mais au règlement intérieur de l’établissement : une telle obligation de neutralité, qui ne relève plus du principe de laïcité, doit être prévue dans le règlement intérieur et dans les conditions prévues par le Code du travail. Sur ce point, suite à l’affaire dite Babyloup, le législateur a adopté la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels introduisant un article L. 1321-2-1 du Code du travail et posant les conditions de cette clause de neutralité dans l’entreprise.

Enfin, durant l’été 2016, de nombreux arrêtés municipaux ont été adoptés dans l’objectif d’interdire le port du burkini à la plage. Par une ordonnance rendue le 26 août 2016, le Conseil d’État rappelle les principes fondamentaux : dans l’espace public, la liberté de porter des signes religieux ne peut rencontrer comme limite que des considérations liées à l’ordre public, et en aucun cas à la laïcité.

D 12 octobre 2022    AFrançoise Curtit ALauren Bakir

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