eurel     Données sociologiques et juridiques sur la religion en Europe et au-delà

2023

  • Septembre 2023 : Polémiques autour du port de l’abaya à l’école

Le 27 août dernier, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a annoncé au Journal télévisé de TF1 que l’abaya serait interdite dans les écoles, collèges et lycées publics. L’abaya est une robe longue et ample, c’est un vêtement culturel venant de la péninsule arabique.

La polémique autour du port de l’abaya dans les établissements d’enseignement secondaire a été récurrente ces derniers mois concernant les collégiennes et les lycéennes. Quelques jours avant la rentrée 2023, le ministre de l’Éducation nationale s’est positionné et a indiqué qu’il interdirait dès la rentrée le port de cette tenue. Si cette annonce a réenclenché des polémiques et des prises de parole autour de cette question, elle a également engendré des interrogations chez les juristes.

Le débat sur la façon dont les élèves s’habillent provient du principe que l’école publique doit être, du fait du principe de la laïcité, un lieu de neutralité religieuse. Si cette neutralité religieuse ne concernait initialement que les agents du service public, la loi du 15 mars 2004 étend cette neutralité aux usagers du service public de l’éducation nationale : les élèves. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Si les signes objectivement religieux sont ainsi interdits – voile, kippa, grande croix – d’autres signes ont posé question au juge ces dernières années. Ainsi en est-il du port d’un bandana ou d’une jupe longue par exemple. Pour appréhender dans quelle mesure ce type de signes entre ou non dans le champ d’application de la loi de 2004, le Conseil d’État retient que le port de ces signes ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève – l’appréciation se fait donc au cas par cas.

La note de service du ministre, publiée au Bulletin officiel de l’Éducation nationale le 31 août dernier, intègre l’abaya dans le champ d’application de la loi du 15 mars 2004. Son prédécesseur, Pap Ndiaye avait d’ores et déjà publié une circulaire en 2022 tendant à préciser le cadre juridique applicable, entre autres, aux abayas. Pour certains juristes, cette annonce n’est donc ni plus ni moins qu’un exercice de communication politique.

En France, les débats autour de la place de la religion dans l’espace public sont fréquents – notamment concernant les signes religieux portés par les femmes musulmanes : le voile, le burkini, le voile intégral, aujourd’hui l’abaya. Cette dernière polémique emporte de nombreuses interrogations. D’une part, sur la base de quelles informations le gouvernement, malgré l’opinion contraire du CFCM, déclare-t-il que l’abaya est un vêtement religieux ? Si ce vêtement permet de répondre aux exigences de pudeur religieuse, il est cependant avant tout culturel ; le gouvernement semble donc ici adopter la définition de l’abaya qu’en ont quelques acteurs d’un certain courant de l’islam, et quelques acteurs d’un certain courant de la laïcité. Le Conseil d’État s’est également inscrit en ce sens.
D’autre part, cette polémique questionne une nouvelle fois la définition de la laïcité : s’agit-il d’un principe juridique libéral ou la neutralité religieuse finira-t-elle par remplacer définitivement la laïcité, juridiquement garante de liberté religieuse ?

Lauren Bakir
  • Juillet 2023 : Le Conseil d’État rend sa décision concernant le port de signes exprimant des convictions lors des matchs de football

Plusieurs associations ont demandé à la Fédération française de football (FFF) d’abroger l’article 1er de ses statuts en ce qu’il interdit le port, pendant les matchs, de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Le Conseil d’État a finalement été saisi par ces associations.

En 2006, la FFF avait modifié l’article 1er de ses statuts et interdit, entre autres, tout port de signes ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale lors de compétitions. Plusieurs associations demandent alors l’abrogation de cette interdiction. Le refus de la FFF entraine une saisine du Conseil d’État qui a rendu sa décision le 29 juin 2023.

Dans cette décision, le Conseil d’État statue sur deux catégories de personnes.

D’un côté, les personnes sélectionnées dans les équipes de France. Elles sont soumises au principe de neutralité du service public. Le Conseil d’État rappelle que la Fédération est délégataire d’une mission de service public, elle est donc tenue de prendre toutes les dispositions pour que ses agents et les personnes participant à l’exécution d’une mission de service public, sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, s’abstiennent de toute manifestation de leurs convictions et opinions pour garantir la neutralité du service public dont elle est chargée. Ainsi, les personnes que la Fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre, sont soumises au principe de neutralité du service public.

De l’autre côté, les autres licenciés de la FFF ne sont pas soumis au principe de neutralité du service public mais aux statuts de la Fédération. La fédération sportive délégataire a un pouvoir réglementaire pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui est confié. Il lui revient donc de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu (réglementation des équipements et tenues par exemple). Ces règles peuvent avoir pour objet de limiter la liberté des licenciés d’exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et liberté d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs. Le Conseil d’État juge, sur cette base, que la FFF a pu légalement interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical » et « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande » qui sont de nature à faire obstacle au bon déroulement des matchs. Par ailleurs, il juge que l’interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, limitée au temps et lieux des matchs de football, apparait nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport.

La question du port de signes religieux dans le sport a été extrêmement médiatisée, souvent en dénaturant les termes du débat juridique. Le Conseil d’État a d’ailleurs reçu des menaces avant de rendre sa décision.

Au niveau strictement juridique, la nécessité d’interdire le port de signes exprimant des convictions pour assurer le bon déroulement des matchs est très discutable, le risque d’affrontement ou de confrontation n’ayant jamais fait l’objet d’études précises.

Les conséquences sont perceptibles à la fois sur le terrain - l’interdiction étant faite aux femmes qui portent le voile d’entrer sur le terrain lors des compétitions – et dans une partie de la société civile, qui s’interroge sur ces restrictions de la liberté religieuse.

Lauren Bakir
  • Avril 2023 : Conseil des sages de la laïcité

En 2018, le ministre de l’Éducation nationale a installé un Conseil des sages de la laïcité "face aux atteintes au principe de laïcité qui ébranlent depuis trop longtemps l’institution scolaire".
Le 14 avril prochain, ce conseil va accueillir 5 nouveaux membres (Gwénaële Calvès - professeure de droit public à l’université de Cergy-Pontoise ; Christine Darnault - directrice de cabinet adjointe du recteur de Créteil, en charge des politiques éducatives ;
Jacques Fredj - directeur du mémorial de la Shoah ; Thomas Hochmann, professeur de droit public à l’université de Paris-Nanterre ; Alain Policar, politologue et sociologue à l’IEP de Paris.
Les autres membres du Conseil des sages sont Dominique Schnapper (présidente), Jean-Louis Auduc, Ghaleb Bencheikh, Catherine Biaggi, IAGGI, Abdennour Bidar, Médéric Chapitaux, Monique Dagnaud, Olivier Galland, Delphine Girard, Patrick Kessel, Catherine Kintzler, Frédérique de la Morena, Jean-Eric Schoettl, Vincent Ploquin (ministère de l’intérieur), auxquels s’ajoute une équipe administrative comprenant Alain Seksig, Iannis Roder, Isabelle de Mecquenem, Michèle Narvaez.

Anne-Laure Zwilling

D 11 septembre 2023    ALauren Bakir

CNRS Unistra Dres Gsrl

Suivez nous :
© 2002-2024 eurel - Contact