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Travail

Les religions sur le lieu de travail

Il n’existe pas de législation spécifique concernant les pratiques religieuses sur le lieu de travail. Toutefois, l’article 13 de la Constitution dispose que la liberté de conscience religieuse est sacro-sainte et que la jouissance des droits et libertés civils est indépendante des croyances religieuses de l’individu (paragraphe 1). En outre, l’article 5 garantit à tous les individus le droit de développer librement leur personnalité et de participer à la vie sociale, économique et politique du pays, à condition de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui ou de ne pas violer la Constitution et la législation. Néanmoins, l’article 3 désigne l’orthodoxie orientale comme la religion prédominante en Grèce, ce qui peut influencer la liberté religieuse et les pratiques des individus adhérant à d’autres religions ou n’ayant pas d’affiliation religieuse.

L’affaire Alexandridis c. Grèce, entendue par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), est un cas emblématique qui illustre cette question. Dans cette affaire, le requérant, alors qu’il prêtait serment en tant qu’avocat, a été contraint de révéler qu’il n’était pas membre de l’Église orthodoxe et a exprimé le souhait de faire une déclaration solennelle plutôt que de prêter un serment religieux. La Cour a conclu que l’obligation faite au requérant de révéler son statut de chrétien non orthodoxe et sa préférence pour une affirmation laïque portaient atteinte à sa liberté de ne pas divulguer publiquement ses convictions religieuses. La Cour a conclu à l’unanimité à la violation de l’article 9, qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion. En outre, la Cour a également conclu à l’unanimité à la violation de l’article 13, qui garantit le droit à un recours effectif (Cour européenne des droits de l’homme (première section), Alexandridis, requête n° 19516/06, arrêt du 21 févr. 2008).

Sphère publique

L’éducation est l’un des principaux domaines où l’influence du christianisme orthodoxe a un impact significatif sur la liberté de religion sur le lieu de travail. Les prières du matin, les services religieux, la sanctification et la présence d’images religieuses créent un environnement qui ne permet pas aux écoles grecques d’être considérées comme neutres sur le plan religieux. Par conséquent, les éducateurs, les enseignants et les professeurs rencontrent des difficultés car ils sont souvent contraints de participer à ces pratiques religieuses, qui peuvent entrer en conflit avec leurs croyances. Dans certains cas, même les athées se voient obligés d’assister aux prières du matin ou de faire le signe de croix pour éviter les perturbations. Malgré les objections soulevées contre l’obligation de prier et de se rendre à l’église, certaines affaires ont été rejetées par la Cour suprême (décision 924/2020) et attendent maintenant d’être examinées par la Cour européenne des droits de l’homme.

Au-delà du domaine de l’éducation, des cas de discrimination peuvent également être observés dans divers autres lieux de travail. Des défis similaires ont été documentés sur les lieux de travail, soit par le biais d’enquêtes spécifiques, soit par des récits verbaux informels fournis par des fonctionnaires. Ces difficultés concernent notamment la participation à des cérémonies de consécration ou à des cérémonies eucharistiques dans le cadre des fonctions officielles. Les cérémonies annuelles de consécration organisées dans les tribunaux grecs, auxquelles assistent les juges et les fonctionnaires du tribunal, constituent des exemples significatifs. L’accomplissement de ces rituels religieux dans le cadre d’un service public, bien que principalement coutumier et non imposé par la législation actuelle, entraîne une différence de traitement et une discrimination. Cela est évident même dans le cas des rituels religieux (consécration et serment) organisés au Parlement grec après les élections.

La portée symbolique de ces pratiques oblige souvent les personnes qui ne souhaitent pas y participer à s’abstenir, ce qui peut entraîner des réactions négatives, ou à y participer à contrecœur pour éviter l’exclusion, bien que cela soit contraire à leur conscience et à leurs croyances. Ces cas représentent la deuxième catégorie de discrimination religieuse mentionnée plus haut, connue sous le nom de harcèlement religieux. Cela se produit lorsque les employés sont contraints, directement ou indirectement, de participer (ou de s’abstenir de participer) à des cérémonies et pratiques religieuses.

Une affaire récente examinée par le Médiateur concernait l’interdiction de porter un foulard musulman dans le cadre des fonctions d’infirmière dans les cliniques hospitalières publiques. Il a été conclu que cette interdiction ne constituait pas une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses. Il a été établi que l’interdiction ne visait pas spécifiquement les croyances religieuses et ne les différenciait pas, mais qu’elle découlait plutôt de l’obligation pour le personnel infirmier d’adhérer à des codes vestimentaires uniformes prescrits, tels que décrits dans les dispositions réglementaires applicables à toutes les infirmières sans discrimination. En outre, l’interdiction du port du foulard a été jugée suffisamment justifiée par la direction de l’hôpital dans le contexte des mesures de contrôle des infections visant à préserver la santé publique. Par conséquent, l’interdiction n’a pas non plus été considérée comme une discrimination indirecte. Elle a été jugée objectivement justifiée par un objectif légitime qui, conformément à la loi 4443/2016 et à la directive 2000/78/CE, est la protection de la santé. Les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif ont été jugés appropriés, car ils consistaient à garantir le respect des spécifications en matière de désinfection par l’utilisation d’éléments de l’uniforme d’infirmière. La restriction concernant le port du foulard s’applique spécifiquement au personnel infirmier, tandis que dans les autres services de l’hôpital où des tâches sanitaires ne sont pas effectuées, le port du foulard est autorisé.

Un autre cas notable de discrimination se produit au sein des forces armées, où l’influence de la religion est particulièrement prononcée. La présence exclusive de services religieux orthodoxes constitue intrinsèquement une discrimination, tout comme l’obligation de se rendre régulièrement à l’église. Dans un environnement intrinsèquement autoritaire comme l’armée, l’abstention de pratiques religieuses peut conduire à diverses formes de discrimination à l’encontre du personnel et des conscrits.

Malgré le respect officiel de la liberté de religion, le christianisme orthodoxe imprègne la sphère publique par le biais de rituels et de symboles, ce qui crée des obstacles importants pour les personnes d’autres confessions ou d’origine non religieuse qui souhaitent exprimer ouvertement leurs croyances ou s’abstenir de participer à des activités religieuses. Par exemple, dans les hôpitaux publics, de nombreuses icônes religieuses ornent les bureaux et les cliniques, tandis que des aumôniers chrétiens orthodoxes sont exclusivement à la disposition des patients et des visiteurs, sauf dans des régions comme la Thrace occidentale, où réside la communauté musulmane autochtone.

Les personnes non religieuses, y compris les athées et les agnostiques, sont également victimes de discrimination sur le lieu de travail, en particulier dans des professions telles que les forces de sécurité, l’enseignement et les régions provinciales. Ces personnes ont déclaré se sentir obligées de participer à des cérémonies religieuses, à des prières à l’école ou à des activités religieuses pour se conformer aux normes religieuses dominantes. En outre, nombre d’entre elles ont exprimé leur réticence à divulguer leurs opinions athées dans leur environnement de travail, en particulier si leurs supérieurs ont de fortes convictions religieuses, par crainte de répercussions potentielles qui pourraient nuire à leur réputation professionnelle et à leurs possibilités d’avancement.

Sphère privée

La situation dans le secteur privé reflète celle du secteur public mais avec des variations selon la taille et la nature de l’entreprise. Dans les multinationales, les problèmes liés à la liberté de religion semblent moins fréquents. Toutefois, dans les petites entreprises, des personnes appartenant à des religions minoritaires telles que les témoins de Jéhovah ou les musulmans ont rencontré des difficultés.

Des observations similaires ont été faites dans des rapports spéciaux sur l’islamophobie en Grèce. Bien que les cas majeurs d’islamophobie et de discrimination religieuse sur le lieu de travail ne soient pas couramment signalés, on constate souvent un manque de flexibilité de la part des employeurs en ce qui concerne les pratiques religieuses des employés musulmans, notamment en ce qui concerne les prières du vendredi. Dans de tels cas, le fait de ne pas répondre aux besoins religieux des employés constitue la troisième catégorie de discrimination religieuse mentionnée plus haut, englobant des questions telles que les conflits d’horaires, les codes vestimentaires et la possibilité d’observer les devoirs religieux pendant les heures de travail. Les femmes musulmanes rencontrent des difficultés considérables, notamment en ce qui concerne le port du foulard, même lorsqu’elles possèdent les qualifications et l’éducation nécessaires pour occuper un emploi. Dans le cadre d’une enquête menée par le Centre national de recherche sociale sur la discrimination, une femme musulmane a fait part de son expérience, révélant que son employeur potentiel lui avait demandé si elle avait l’intention de porter le foulard au travail. Après avoir expliqué que ses convictions religieuses l’empêchaient de l’enlever, l’employeur a répondu en insistant sur le fait qu’elle ne devait pas le porter dans le magasin, mais qu’elle pouvait le faire ailleurs. Refusant de se plier à cette exigence, la femme a été informée par le propriétaire qu’elle n’aurait non seulement pas le droit d’être embauchée dans son établissement, mais qu’il était également peu probable qu’elle obtienne un emploi ailleurs.

Pour les personnes non religieuses propriétaires d’entreprises, en particulier dans les zones rurales, déclarer ouvertement leurs convictions athées est considéré comme problématique. Par conséquent, beaucoup ont opté pour la dissimulation de leurs opinions afin d’atténuer les répercussions potentielles. En outre, lorsque la question de la religion est abordée, ces personnes se retirent souvent de la conversation sous divers prétextes, craignant des conséquences négatives pour leurs intérêts commerciaux.

Sources :
 PAPADOPOULOU, Lina, "Greece”, in RODRÍGUEZ BLANCO Miguel (ed.), Law and religion in the workplace, Proceedings of the XXVIIth annual conference of the European Consortium for Church and State Research, Alcalá de Henares, 12-15 November 2015, Granada, Comares, December 2016, pp. 199–212.
 SAKELLARIOU, Alexandros, “Religion –and its absence– as a discriminatory factor in public institutions and services”, in STRATIGAKI, Maria (ed.), Discriminations in the Public Sector : Challenges and Policies, Athens : Koinoniko Polykentro, 2024, pp. 91–115 (en grec).

D 13 juin 2024    AAlexandros Sakellariou

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