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Archives des débats

2021

Juin 2021 : Les pensionnats autochtones au Canada
Cette fiche porte sur les « pensionnats autochtones » du Canada et sur le débat public à leur sujet. Au début de juin 2021, des fouilles ont (...)

  • Juin 2021 : Les pensionnats autochtones au Canada

Cette fiche porte sur les « pensionnats autochtones » du Canada et sur le débat public à leur sujet. Au début de juin 2021, des fouilles ont débuté sur des sites d’anciens pensionnats ayant été administrés par des congrégations catholiques. Un mois plus tard, sur trois sites, elles ont révélé plus de 1000 sépultures oubliées, non enregistrées dans les archives disponibles. Comme il y a eu 139 pensionnats autochtones au Canada et que les fouilles devraient s’étendre à plusieurs autres sites sinon leur totalité, cela devrait hausser très sensiblement le nombre de décès connus, établi à 4120 selon le plus récent décompte (consulté le 8 juillet 2021) mais qu’on supposait déjà incomplet. Par ailleurs, ces découvertes font fortement réagir les communautés autochtones qui n’ont jamais su ce qu’il était advenu de nombreux élèves disparus.

Le réseau des pensionnats autochtones ou « écoles résidentielles » a été établi par le gouvernement du Canada en partenariat avec des Églises, dans les années 1880, avec le double objectif d’assimiler et de christianiser les enfants. 150 000 enfants autochtones ont fréquenté ces établissements. Leur fréquentation est devenue obligatoire à partir de 1920. Le réseau national a été aboli en 1969 mais certains pensionnats ont subsisté jusqu’en 1996. À partir des années 1980, des groupes de survivants ont commencé à témoigner d’abus psychologiques, physiques et sexuels, mais aussi de déprogrammation linguistique et culturelle, entre autres abus. En 2006, après le dépôt d’une poursuite en recours collectif contre le gouvernement et les Églises impliquées, une convention de règlement a fixé les termes d’une entente à l’amiable devant un juge. Elle prévoyait que le gouvernement présente des excuses officielles (faites en 2008), crée une Commission de vérité et réconciliation (à l’avenir : CVR), verse des compensations aux survivants, tandis que les Églises impliquées versent aussi des compensations pour des projets de guérison et de commémoration. La Convention prévoyait aussi la création d’un centre d’archives et de recherche sur les pensionnats. En 2015, après une enquête de 5 ans et 4000 témoignages, la CVR a déposé son rapport final. Il a mis en évidence les graves séquelles individuelles, collectives et intergénérationnelles des pensionnats, ainsi qu’un taux de mortalité et de disparitions élevé dans ces institutions. Il considère les pensionnats comme volet d’un « génocide culturel » plus ample (Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations unies, article 2). Diverses congrégations catholiques ainsi que les Églises anglicane et protestantes concernées ont présenté des excuses et des compensations. L’épiscopat canadien a toujours refusé de le faire, arguant que la plupart des diocèses n’avaient pas administré de pensionnats et que cela concernait surtout des congrégations religieuses.

Sur le plan religieux, les débats les plus vifs portent actuellement (1) sur la part de responsabilité que décline l’épiscopat canadien, (2) sur l’opportunité des excuses dont celles du pape au nom de l’Église catholique, demandées par la CVR, (3) sur la transparence des entités catholiques dans la divulgation de leurs archives et (4) sur des compensations financières de 21 millions de dollars (CAN) faisant litige : elles sont revendiquées par les Autochtones sur la base d’une formulation très ambiguë dans la convention de 2006, qui s’engage à faire tous les efforts possibles pour recueillir les fonds nécessaires sans garantie (Annexe O-3, article 3.9). Un autre enjeu concerne l’avenir des Églises et la transformation de la pastorale en milieux autochtones. Par ailleurs, en s’ajoutant au scandale des abus sexuels par des membres du clergé, l’histoire des pensionnats autochtones accentue le contentieux entre une part croissante de la société canadienne et l’Église catholique.

L’histoire des pensionnats autochtones est complexe. Au-delà du rapport final de la CVR, elle pourrait révéler d’autres facettes dans le futur. Le pape doit rencontrer une délégation autochtone à Rome en décembre 2021 – rouvrant la possibilité d’excuses officielles au nom de l’Église catholique.

D 15 juillet 2021    AJean-François Roussel

2020

D 13 juillet 2021   

2019

Août 2019 : Le rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)
En août 2019, la CDPDJ a produit un rapport intitulé Les actes haineux à caractère (...)

  • Août 2019 : Le rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

En août 2019, la CDPDJ a produit un rapport intitulé Les actes haineux à caractère xénophobe, notamment islamophobe, ayant pour objectif de dresser un portrait de la situation québécoise portant sur les actes haineux au Québec. Selon le rapport, parmi les 86 victimes d’actes haineux rencontrées pour l’étude, chaque répondant a vécu en moyenne trois actes haineux, 35 % des victimes ont dû changer leurs habitudes de vie et 78 % des actes subis n’ont pas été rapportés à une autorité compétente (partie B. Résultats de l’étude de terrain). Plusieurs effets des actes subis ont été identifiés : peur et anxiété, perte de confiance, isolement, dépression, humiliation, sentiment d’exclusion et volonté de quitter le Québec. De plus, le rapport propose plusieurs recommandations (p. 254 et suivantes), afin notamment de répondre aux raisons de la non-dénonciation d’un acte, parmi lesquelles on retrouve la méconnaissance des lois et des recours, la mauvaise perception des policiers, le découragement, le statut migratoire et le manque de confiance dans le système.

Voir aussi l’article "Relations interreligieuses - Les crimes haineux au Québec".

Bertrand Lavoie

  • Juin 2019 - Loi sur la laïcité

L’Assemblée nationale du Québec a adopté le 16 juin 2019 une Loi sur la laïcité de l’État (voir Droit et religion > Présentation générale).

Le contexte d’adoption
La Loi s’inscrit dans le contexte québécois suivant les débats portant sur les accommodements raisonnables (voir la rubrique Accommodement raisonnable). La Loi fait suite à deux projets de loi antérieurs, soit le projet de loi n° 94, déposé en 2011, encadrant les demandes d’accommodement et interdisant la dissimulation du visage dans les services publics, et le projet de loi n° 60, déposé en 2013, interdisant le port de signes religieux pour l’ensemble des employés de l’État. Pour des raisons de changements de gouvernement, ces deux projets de loi n’ont pas été adoptés. La Loi fait également suite à la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État, adoptée en 2018, encadrant les demandes d’accommodements raisonnables.

Les contestations
Trois (3) contestations ont été déposées devant les tribunaux québécois, une par la Coalition Inclusion Québec (une association militante pour les droits des immigrants), une par la Commission scolaire English-Montréal (le réseau anglophone montréalais d’écoles primaires et secondaires) et une autre par la Fédération autonome de l’enseignement (un syndicat d’enseignant) ; contestations qui, notamment, présentent des preuves documentées sur la présence plus importante numériquement de femmes musulmanes portant le hijab qui seraient touchées par la Loi sur la laïcité de l’État. En parallèle de ces contestations, d’autres contestations ont été déposées devant les tribunaux afin de faire suspendre immédiatement l’application de la Loi, sans succès.

Bertrand Lavoie
  • Juin 2019 : Entre laïcité et neutralité religieuse au Québec

Au mois de juin 2019, le Québec a adopté un projet de loi sur la laïcité dont nous résumons ici le sens et expliquons l’origine du débat. Comme dans plusieurs régions du monde, le Québec est, depuis près de vingt ans, agité par des débats publics concernant les nouvelles vagues migratoires et certaines minorités religieuses. Le concept de « laïcité ouverte » fait son apparition discrète, en 1999, dans un rapport sur la religion à l’école commandé par le gouvernement du Québec. La laïcité ne commencera à faire l’objet de discussions publiques que quelques années plus tard, en 2007-2008, autour du débat virulent sur les accommodements raisonnables (voir une définition sur EUREL).

Laïcité ouverte à l’école

En 1999, un comité d’étude sur la religion à l’école, présidé par le journaliste et professeur Jean-Pierre Proulx, fait paraître un rapport intitulé Laïcité et religions. Perspectives nouvelles pour l’école québécoise. Le rapport Proulx propose le concept de laïcité ouverte comme cadre normatif de sa proposition d’un enseignement culturel de la religion, mais il en développe très peu la teneur. Il s’agit d’une proposition de déconfessionnaliser le système public de l’éducation (niveaux primaire et secondaire), tout en conservant l’enseignement d’une matière dédiée aux cultures religieuses. C’est à ce titre que la laïcité est dite « ouverte », en distinction du système français n’incluant pas de matière spécifique d’enseignement sur la religion. Les écoles primaires et secondaires offraient jusque-là l’option d’une éducation catholique, protestante ou morale, en plus d’une animation pastorale. La parution du rapport est suivie d’une commission gouvernementale qui mène à la déconfessionnalisation du système scolaire. L’animation pastorale fait place à une animation de l’engagement communautaire et de la vie spirituelle, et les options en faveur de l’enseignement moral et confessionnel sont remplacées par un seul programme obligatoire désigné sous le nom d’Éthique et culture religieuse (voir la rubrique Ecole et religion) tant dans les écoles publiques que privées.

Laïcité ouverte et accommodements raisonnables

La discussion sur la laïcité s’approfondit lorsque la notion juridique d’accommodement raisonnable à des demandes de nature religieuse, appliquée au Canada depuis un jugement rendu par la Cour suprême en 1985, donne lieu à des controverses médiatiques. Le tollé est tel qu’il suscite en 2007 la mise sur pied d’une autre commission, connue sous le nom de ses coprésidents Gérard Bouchard et Charles Taylor (Fonder l’avenir 2008). Comptant autour de 300 pages et des dizaines de recommandations, leur rapport suggère notamment un projet de laïcité ouverte, la définissant de manière générale, comme une recherche d’équilibre entre les droits. Bouchard et Taylor la distinguent des régimes imposant « des limites assez strictes à la liberté d’expression religieuse », citant la France et ses politiques d’interdiction de port de symboles religieux à l’école (p. 20). En résumé, le rapport suggère d’accroître la neutralité de l’État en limitant les expressions et symboles religieux présents dans l’arène politique, de conserver les éléments religieux patrimoniaux de type culturel, et d’honorer la jurisprudence concernant les accommodements raisonnables, dans le respect de certaines limites éthiques et culturelles. Ils recommandent en outre d’interdire le port de signes religieux à un nombre restreint de personnes exerçant des fonctions « coercitives » particulières (magistrats et procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, président et vice-présidents de l’Assemblée nationale).

Par la suite, ne se succèdent pas moins de quatre projets de loi controversés, voulant faire suite à ce rapport de 2008. Les deux premiers échouent faute de consensus. Le premier, proposé par un gouvernement libéral fédéraliste en 2011, s’intitule Projet de loi n° 94 : Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements. Un gouvernement minoritaire péquiste (relatif au Parti québécois ou PQ) propose le second, en 2013, l’intitulant Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Les deux projets de loi suivants seront quant à eux adoptés.

Le gouvernement libéral, reprenant le pouvoir, remet un projet de loi sur le métier. Fortement majoritaire, il adopte, en octobre 2017, le Projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes. Des groupes contestant l’article 10, obligeant à donner ou à recevoir des services à « visage découvert », ont gain de cause, obtenant la suspension de son application par la Cour supérieure du Québec. Il est difficile d’imposer de telles restrictions au Canada, en vertu des chartes des droits et libertés.

À la faveur d’un changement de gouvernement, le parti Coalition Avenir Québec (la CAQ, parti se disant pragmatiquement fédéraliste mais très nationaliste, dont le chef fut ministre péquiste), élu pour la première fois, dépose le 28 mars 2019 le Projet de loi 21 : Loi sur la laïcité de l’État. Afin d’échapper exceptionnellement aux chartes des droits et aux recours aux tribunaux, ce projet prévoit d’utiliser la « clause nonobstant ou dérogatoire » (art. 33), dont l’usage est prévu dans la constitution canadienne pour déroger à certains droits :

« Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ; La déclaration visée à l’article (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur (33.3) ; Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée à l’article (1) (33.4) ».

Si les quatre projets de loi abordent plusieurs questions liées aux accommodements raisonnables, les débats se centrent uniquement sur le port de signes religieux. Le parti libéral, tant en 2011 qu’en 2017, se borne à limiter le « visage couvert ». Le Parti Québécois comme la CAQ imposent une interdiction à un grand nombre de fonctionnaires. Le projet de loi 21 présenté par la CAQ va un peu moins loin que le PQ sur ce point, mais son annexe II énumérant les fonctions publiques concernées est très développée, incluant les enseignants du primaire et du secondaire, aspect le plus controversé. La CAQ soutient que toutes ces fonctions exercent un certain pouvoir de « coercition », faisant référence au rapport Bouchard-Taylor (étendant en fait cette notion à plusieurs fonctions autres que le rapport lui-même). La clause dérogatoire fait croire qu’aucune poursuite judiciaire ne pourra contester les applications de la loi 21. Au moment d’écrire ce texte, le projet est pourtant déjà contesté. Une longue bataille judiciaire s’annonce, et les adversaires iront jusqu’à l’ONU s’il le faut. Si la CAQ rêve de reproduire le modèle français républicain, sur cette question, le contexte nord-américain et ses usages plutôt flexibles quant à la liberté de conscience et de religion posent obstacle à une interdiction du port des signes religieux, qui serait dénuée de controverses.

On retiendra ici deux particularités. Dans un premier temps, les projets de loi incluent le concept de laïcité lorsqu’ils sont proposés par des partis caractérisés par leur nationalisme plus affirmé et plus identitaire, alors qu’ils souhaitent distinguer le Québec du reste du Canada. Le parti libéral fait usage du concept de « neutralité religieuse », plus en phase avec le contexte législatif canadien. Dans un deuxième temps, si les projets de loi portent sur la gestion générale des accommodements raisonnables demandés par des individus pour des motifs religieux, les débats se centrent surtout sur les aspects symboliques et vestimentaires, comme ce fut le cas en France d’ailleurs, lors de la commission Stasi en 2003.

Sources :
 Bouchard G. et Taylor C., Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008.
 Lefebvre, S. et al. (ed.), Dix ans plus tard : La commission Bouchard-Taylor, succès ou échec ?, Montréal : Québec Amérique, 2018, pp. 75-86.
 Lefebvre, S. et al., Public Commissions on Cultural and Religious Diversity : Analysis, Reception and Challenges, UK : Routledge, 2017.
 Proulx J.-P. (prés.), Comité d’étude sur la religion à l’école, Laïcité et religions. Perspectives nouvelles pour l’école québécoise, Québec : Ministère de l’Éducation, Gouvernement du Québec, 1999.
 Plusieurs documents publics peuvent être téléchargés sur le répertoire PLURI.

Solange Lefebvre

D 4 juillet 2019    ABertrand Lavoie ASolange Lefebvre

2018

Octobre 2017 : étude de cas : Zunera Ishaq c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
Le Québec, province canadienne à majorité francophone, a adopté en octobre 2017 un projet de loi (...)

  • Octobre 2017 : étude de cas : Zunera Ishaq c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Le Québec, province canadienne à majorité francophone, a adopté en octobre 2017 un projet de loi interdisant d’avoir le visage couvert dans les services publics. Ce projet de loi vise le port du voile intégral dans les tribunaux compétents. La ministre de la Justice québécoise, Stéphanie Vallée, a toutefois précisé que le projet de loi 62 ne vise pas spécifiquement les symboles religieux, car il s’appliquerait aussi, par exemple, aux capuches, bandanas et lunettes opaques qui masqueraient le visage. La question du voile intégral n’est pas neuve au Canada.

Le 16 novembre 2015, le Canada est devenu la première démocratie occidentale à lever légalement l’interdiction de se couvrir le visage (en particulier avec un niqab, qui couvre tout le visage à l’exception des yeux) au moment de prêter serment de citoyenneté. La procureur générale et ministre de la Justice canadienne, Jody Wilson-Raybould, a officiellement rejeté la demande d’appel de l’ancien gouvernement conservateur auprès de la Cour suprême du Canada dans l’affaire ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zunera Ishaq, mettant ainsi fin à une affaire politique non tranchée en 4 ans (2011-2015).

L’affaire avait commencé le 12 décembre 2011 après l’annonce par le ministre canadien de l’Immigration, de la Citoyenneté et du Multiculturalisme, Jason Kenney, de l’interdiction par le gouvernement conservateur de tout couvre-chef durant la cérémonie de prestation de serment de citoyenneté canadienne (voir CBC). Le gouvernement s’était justifié en arguant que le serment de citoyenneté est un acte public de dévotion et de loyauté envers le Canada devant ses concitoyens et qu’à ce titre, il ne peut être prononcé en se cachant le visage. L’interdiction avait été appliquée sous forme de directive à effet immédiat en vertu du bulletin opérationnel 359 (Citoyenneté et Immigration Canada [« CIC »], bulletin opérationnel 359 ; manuel de politique CIC CP 15 : guide des cérémonies de citoyenneté [le « Manuel »]), qui a accéléré l’interdiction et l’a soustraite au processus législatif et aux débats des représentants politiques.

Le 30 décembre 2013, un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de la future citoyenne canadienne Zunera Ishaq. Le 14 janvier 2014, celle-ci devait donc prêter serment de citoyenneté ; or, selon les directives du Manuel et de son article 6.5, « les candidats portant un couvre-chef sont tenus d’enlever celui-ci pour la partie de la cérémonie où ils prêtent serment ». Madame Ishaq s’était opposée à cette exigence, prétextant que ses croyances religieuses l’obligeaient à porter le niqab en public. Elle a fait valoir que la politique du gouvernement portait atteinte au paragraphe 2 (a), de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté fondamentale de conscience et de religion. Madame Ishaq a alors déposé une demande d’examen judiciaire.

Le 6 février 2015, le juge de la Cour fédérale Keith Boswell a statué en faveur de Madame Ishaq et a jugé que l’interdiction par le gouvernement de porter le niqab pendant le serment de citoyenneté canadienne était illégale. Le juge Boswell a déclaré que la directive de 2011 du gouvernement était en contradiction avec le règlement actuel sur la citoyenneté, selon lequel les juges de la citoyenneté doivent faire prêter serment dignement et solennellement en garantissant la plus grande liberté de religion possible au moment de l’engagement solennel. De plus, le juge Boswell a posé la question suivante : comment un juge de la citoyenneté peut-il prétendre garantir le plus grand respect de la religion au moment de l’engagement solennel et de la prestation de serment si la sphère politique exige que le candidat viole ou renonce à un principe fondamental de sa religion ? Le 9 mars 2015, les avocats du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont introduit une demande d’appel de cette décision auprès de la Cour d’appel (voir National Post), affirmant que le juge fédéral avait commis plusieurs erreurs de fait et de droit. Le 15 septembre 2015, dans le jugement en appel entre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Zunera Ishaq, le procureur général de l’État d’Ontario s’était rangé du côté de la décision de la Cour fédérale canadienne, qui avait annulé l’interdiction du gouvernement conservateur de porter un couvre-chef pendant le serment de citoyenneté canadienne (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Ishaq, 2015 FCA 194). L’ancien Premier ministre, Stephen Harper, avait défendu l’appel de son gouvernement par rapport à « l’interdiction du niqab » en dépeignant un idéal exclusif du Canadien aux « bonnes » valeurs. Nombre de ses concitoyens avaient écouté, non sans malaise, leur Premier ministre qualifier d’« offensants » les Canadiens portant le niqab, dont les valeurs (pourtant garanties par le paragraphe 2 (a), de la Charte canadienne des droits et libertés) entraient en contradiction avec les valeurs canadiennes.

Le 19 octobre 2015, lors de la 42e élection générale du Canada, les Canadiens ont élu un nouveau gouvernement libéral. La première décision de Jody Wilson-Raybould, en tant que nouvelle procureur générale et ministre de la Justice du Canada, fut d’annuler l’« interdiction du niqab » (qui durait depuis 2011), en déclarant que cette annulation était un « symbole des valeurs qui font de nous des Canadiens, à savoir la diversité, l’inclusion et le respect de ces valeurs fondamentales ».

D 15 février 2018    AZaheeda Alibhai

2017

Décembre 2017 : Religion et sexualité : polémiques récentes au Canada
L’opposition aux droits à l’égalité sexuelle (comme l’avortement, le mariage de conjoints de même sexe, les droits des (...)

  • Décembre 2017 : Religion et sexualité : polémiques récentes au Canada

L’opposition aux droits à l’égalité sexuelle (comme l’avortement, le mariage de conjoints de même sexe, les droits des travailleurs du sexe) n’est pas réservée aux individus ou aux groupes s’identifiant comme religieux. Il est néanmoins fréquent, lors des débats publics, que les voix les plus fortes et les controverses juridiques proviennent de personnes fondant leur opposition sur le droit à la liberté de religion.

Ainsi, l’organisation de l’opposition aux changements constitutionnels et législatifs est souvent le fait de groupes religieux spécifiques : catholiques, chrétiens évangéliques, musulmans et juifs orthodoxes. Plus particulièrement, lorsqu’il y a un changement juridique – comme lors de la redéfinition du mariage qui n’est plus seulement hétérosexuel (entre un homme et une femme) mais inclut les couples de même sexe – les groupes tels que l’Evangelical Fellowship of Canada et l’Interfaith Coalition on Marriage and Family sont souvent nommés comme intervenants dans les conflits juridiques, bien qu’il existe d’autres groupes (ex. REAL Women of Canada) qui clament haut et fort leur opposition sur leurs sites web ou dans des interviews dans les médias.

Toutefois, les membres d’organisations religieuses ne se conforment pas toujours aux doctrines de leur tradition religieuse ; la pratique religieuse vécue et les enseignements officiels divergent fréquemment, notamment sur des questions comme l’avortement ou le mariage de conjoints de même sexe. Il faut noter que l’organisation et la dominance de certaines voix religieuses qui s’opposent à l’égalité matrimoniale pour les couples de même sexe, à l’accès à l’avortement ou aux droits des travailleurs du sexe ne doivent pas faire oublier deux éléments essentiels.

D’abord, beaucoup d’individus et de groupes religieux se battent activement pour soutenir les droits des minorités sexuelles, l’accès à l’avortement pour les femmes et les droits des travailleurs du sexe. Par exemple, dans le cas de l’union civile en Ontario, la Metropolitan Community Church of Toronto a argumenté spécifiquement que l’inhabilité d’exécuter des mariages de même sexe violait leurs droits de liberté religieuse (Halpern v Canada, [2003] OJ No 2269, Cour d’appel de l’Ontario). De plus, dans une lettre ouverte soumise au comité de la justice en réponse au Bill C-36, la législation développée par le gouvernement après le cas Bedford, des douzaines de membres du clergé anglican ont argumenté que la loi proposée est immorale et qu’elle imposerait des risques à la sécurité des travailleurs du sexe (Rachel Browne, "Anglican Clergy call prostitution bill immoral", Maclean’s, 2014).

Les attitudes d’opposition dans ces débats particuliers se remarquent aussi à l’extérieur des groupes et des attitudes religieux, et les femmes qui demandent des avortements (ou qui affirment que l’accès à l’avortement devrait être plus largement disponible) expérimentent des expressions courantes de discrimination, tout comme les minorités sexuelles, les couples de même sexe, et les travailleurs du sexe (voir par exemple Catherine G. Taylor & Tracey Peter, et al, Every Class in Every School : Final Report on the First National Climate Survey on Homophobia, Biphobia, and Transphobia in Canadian Schools, Toronto, Egale Canada Human Rights Trust, 2011).

L’opinion publique considère de ce fait souvent que la religion s’oppose "intrinsèquement" aux identités sexuellement diverses, à l’accès à l’avortement ou aux droits des travailleurs du sexe, et lie l’appartenance religieuse à une identité conservatrice (négativement connotée). Cette perception publique dépeint la religion et la sexualité comme opposées, et considère à tort que le fait d’être religieux signifie être opposé aux LGBTQI, ou au féminisme) et le fait d’être LGBTQI, féministe, travailleur du sexe, ou d’avorter signifie être antireligieux.

Voir la liste des décisions de justice sur ce sujet.

Heather Shipley
  • Juin 2017 : Nouveaux mouvements religieux : cas légaux contemporains et historiques

A cause de tensions entre les croyances et pratiques de certains nouveaux mouvements religieux et celles de la majorité, les autorités judiciaires canadiennes furent amenées à plusieurs reprises à se prononcer dans le cadre de conflits liés à divers enjeux, notamment le bien-être des enfants grandissant au sein de certains groupes religieux minoritaires. Ce fut par exemple le cas du mouvement juif ultra-orthodoxe Lev Tahor – alors que des enfants furent pris en charge par les services sociaux après des accusations de maltraitance en 2013 et 2014 – et de plusieurs familles, membres des Témoins de Jéhovah, qui se virent forcés d’accepter que des transfusions sanguines soient administrées à leurs enfants mineurs malgré leur refus de cette pratique pour raison religieuse malgré leur opposition religieuse à cette pratique médicale (cas Chatham-Kent Children’s Services v. A.H., 2014 ONCJ 50 ou Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine c. X, 2011 QCCS 3803, visité le 7 novembre 2016).

Les Témoins de Jéhovah sont d’ailleurs parmi les petits groupes religieux ayant été les plus impliqués dans le processus juridique canadien, et ce depuis les années 1950. Une décision majeure de la Cour suprême du Canada concernant la liberté de parole et la liberté de la presse (Boucher v. the King, 1985) donna raison à un fermier québécois adepte de cette religion qui distribuait des pamphlets anticatholiques et antigouvernementaux dans son village de Beauce. Cet arrêt fait d’ailleurs référence en la matière depuis sa publication. Une autre cause légale importante concernant les religions minoritaires (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, 1985, cette fois-ci impliquant l’employée d’un magasin de détail nouvellement convertie à l’Église adventiste du septième jour, a introduit dans le vocabulaire légal une notion qui est maintenant au centre des discussions concernant la diversité sous toutes ses facettes : l’accommodement raisonnable). Ainsi, malgré leur position parfois précaire au sein du paysage religieux canadien, les nouveaux mouvements religieux ont su, historiquement autant qu’au niveau contemporain, contribuer à plusieurs égards à l’avancement des réflexions concernant les droits et libertés individuelles.

Plus récemment, les membres de l’Église du Monstre de spaghetti volant (ou "pastafariens") ont été médiatisés à causes de leurs demandes particulières concernant les photographies sur leurs permis de conduire. Plusieurs pastafariens, qui disent vénérer un monstre fait de spaghetti qui serait à l’origine du monde, cherchent à se voir accorder le droit de porter une passoire sur la tête ou un costume de pirate incluant un chapeau, en signe de dévotion. Un juge québécois a récemment estimé cette demande irrecevable (Narayana c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2015). Un membre de cette Église résidant en Colombie-Britannique a également rencontré des problèmes par rapport au port d’une sur ses photos d’identité légale et soutient que son droit à la liberté religieuse se voit brimé par ces contraintes.

Voir aussi "Les nouveaux mouvements religieux au Canada" (rubrique Eurel "Principales religions et Eglises" dans "Données socio-religieuses").

Mathilde Vanasse-Pelletier

D 7 décembre 2017    AHeather Shipley AMathilde Vanasse-Pelletier

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