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Éthique et religion

Religion et sexualité

Introduction
En matière de sexualité et d’expression de sa sexualité en public comme en privé, la religion est souvent considérée comme la source principale de contrainte. La réglementation de la sexualité, au Canada comme ailleurs, est imprégnée d’idéologies religieuses (principalement chrétienne) depuis l’arrivée des premiers colons européens au XVIIe siècle. La religion et la sexualité vues sous le prisme des croyances, des pratiques et des traditions des Premières Nations sont diverses et ont été fortement influencées par les religions imposées par les Européens. En réaction aux premiers mouvements et activismes féministes des années 1960 et 1970, les stéréotypes sexuels et de genre ont été fortement remis en question, puis nuancés. La reconnaissance des femmes en tant que personnes (1929), le droit de vote (1916-1940, bien qu’il n’ait été accordé aux femmes des Premières Nations qu’en 1960) et les besoins en main-d’œuvre durant la Première et la Seconde Guerre mondiale ont amené les femmes à travailler d’une manière nouvelle et inattendue et ont été les catalyseurs de mouvements de contestation active des politiques, idéologies et restrictions imposées aux femmes en raison de leurs incapacités présumées liées à leur genre.

Aperçu historique
Les droits et la reconnaissance des lesbiennes et des gays ont trouvé leur place au sein des mouvements féministes dans les années 1970. Les mouvements féministes et homosexuels des premières heures ont pourtant été critiqués pour manquer d’inclusion, notamment à l’égard des femmes de couleur, pour prendre en compte les classes et les revenus et pour privilégier les droits d’une poignée de membres de ces groupes au détriment d’une majorité désavantagée. Bien que les mouvements féministes et lesbiens, gays, bisexuels, trans, queers et intersexués (LGBTQI+) ne forment pas une entité unique, ils se sont donné pour mission essentielle de contester les traitements et politiques négatifs et discriminatoires fondés sur le genre et la sexualité. Les inégalités salariales, l’impossibilité pour les couples homosexuels de se marier ou d’adopter des enfants, les restrictions concernant l’accès à l’avortement et les politiques d’embauche discriminatoires ne sont que quelques-uns des traitements négatifs systémiques imposés aux femmes et aux personnes LGBTQI+, enracinés dans des présomptions idéologiques concernant le genre et la sexualité normatifs. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, les activistes ont commencé à prendre en compte et à insister sur les désavantages intersectionnels, à savoir ceux qui concernent les personnes qui subissent ces formes systémiques de discrimination à travers plus d’une identité minoritaire. Dans le cadre des études intersectionnelles, les espaces réservés aux personnes qui s’identifient à des identités religieuses, sexuées et sexuelles diverses n’ont pas encore fait l’objet d’une grande attention, même si les voix qui s’expriment dans ces espaces se sont multipliées.

À partir des années 1960, la Révolution tranquille, au Québec, a été l’occasion d’une intense réflexion sur la domination de l’Église catholique romaine sur l’État et sur la politique sociale. Les politiques fédérales en matière d’avortement, d’éducation et de traitement des minorités ont été directement remises en question et rejetées. De même, dans d’autres régions du Canada, la primauté accordée aux idéologies chrétiennes dans l’éducation et les politiques publiques a été remise en cause dans les espaces public et juridique. Le mouvement en faveur de l’égalité d’accès au mariage, lancé dans les années 1970, est souvent assimilé à un mouvement visant à éliminer les formes manifestes de religiosité des politiques publiques. Malgré l’engagement de certains groupes religieux en faveur de l’égalité d’accès au mariage, la pression exercée pour redéfinir le mariage afin d’y inclure les couples homosexuels remettait en question ce que de nombreux autres groupes religieux considéraient comme une définition établie par la religion, favorisant la procréation et basée sur la « complémentarité » des genres. Au Canada, l’égalité d’accès au mariage a d’abord été légalisée par le biais d’unions civiles au niveau provincial en 2003, avant d’être reconnue au niveau fédéral en 2005. Les droits d’adoption, les allocations familiales et le droit de protection contre la discrimination ont également été révisés pour en contester, avec succès, les droits fondés sur l’orientation sexuelle. En réalité, ces droits bénéficient principalement à des sous-ensembles spécifiques des communautés LGBTQI+, à savoir les couples monogames de lesbiennes et de gays souhaitant se marier et/ou avoir des enfants, sans englober l’ensemble des défis auxquels sont confrontés les membres des communautés LGBTQI+.

Aperçu actuel
Aujourd’hui, au Canada, les statistiques changeantes concernant le paysage religieux du pays font l’objet de nombreuses recherches sur l’identité religieuse et la façon dont elle est comprise, ainsi que sur les causes de ces changements dans la religiosité canadienne. Les dernières statistiques publiées (Enquête nationale auprès des ménages, 2011) concernant l’identité religieuse indiquent que le christianisme est la religion majoritaire auprès des Canadiens, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu des modèles de migration du pays. Toutefois, le chiffre de 67,3 % pour 2011 est en baisse par rapport au recensement de 2011, où 77 % des Canadiens s’identifiaient comme chrétiens. L’évolution démographique la plus notable concerne les personnes se déclarant non-religieuses, avec 23,9 % des sondés, contre 16,5 % en 2006. S’il faut évidemment se montrer prudent avec les chiffres et leur signification, il est clair que le paysage religieux canadien change en ce qui concerne l’affiliation autosélectionnée et la manière dont le Canada contemporain s’identifie par rapport à la religion. Malheureusement, le recensement ne fournit pas le même rapport concernant la sexualité ou les relations sexuelles diverses, à la fois en raison du concept de recensement (dont les questions ne sont pas aussi détaillées) et d’une faille dans celui-ci (il part de l’hypothèse que deux personnes de même sexe qui vivent ensemble entretiennent une relation conjugale).

Au Canada, le traitement réservé par les politiques publiques et les institutions religieuses aux personnes revendiquant une sexualité non normative est passé de restrictif à discriminatoire. Les attitudes négatives à l’égard des minorités sexuelles ont été dénoncées publiquement par les activistes lors de la révolution sexuelle du milieu du XXe siècle. Les activistes de la première heure en matière de diversité sexuelle ont également trouvé un soutien dans le mariage de Chris Vogel et Richard North en 1974, union célébrée par l’Église unitarienne universaliste de Winnipeg qui, à ce jour, n’est toujours pas reconnue par la province du Manitoba (et, donc, par le Canada).

Pierre Trudeau est resté célèbre pour avoir déclaré en 1967 que l’État n’avait rien à faire dans les chambres à coucher de notre nation lorsque, en tant que Premier ministre, il avait présenté à la Chambre des communes un projet de loi omnibus modifiant radicalement le Code pénal du Canada, notamment en décriminalisant les « actes homosexuels accomplis en privé ». Ce projet de loi modifiait également la législation relative à l’avortement, rendant celui-ci légal pour les femmes si un comité de trois médecins estimait que la grossesse risquait de causer un préjudice mental, émotionnel ou physique à la mère. L’identité religieuse de Pierre Trudeau, catholique fervent, avait été remise en question à la suite de l’adoption de ce projet de loi. L’actuel Premier ministre, Justin Trudeau, a depuis lors fait référence à l’identité religieuse de son père lorsqu’il s’est prononcé en faveur du droit à l’avortement, déclarant qu’il était du devoir d’un dirigeant de défendre les droits de la population, quelles que soient les idéologies religieuses. Ce n’est qu’en 2016 que l’Île-du-Prince-Édouard a accepté de proposer des services d’avortement dans la province. Jusqu’alors, les femmes étaient dirigées vers Halifax, en Nouvelle-Écosse, ou Moncton, au Nouveau-Brunswick, pour obtenir ces services (c’est d’ailleurs toujours le cas actuellement, en attendant que la nouvelle politique et les services soient mis en place). Le refus de pratiquer des avortements à l’Île-du-Prince-Édouard a été influencé par des groupes pro-vie et des politiciens, tels que PEI Right to Life. Bien que le Canada soit souvent salué comme à la pointe en matière de droits de l’homme, et notamment que le drapeau de la fierté ait été hissé sur la colline du Parlement pour la première fois en 2016, les mécanismes de régulation et de contrainte de la sexualité, l’accès aux services de santé sexuelle et le manque de reconnaissance des identités sexuelles non normatives persistent à la fois sur le terrain et dans les politiques et législations récentes. S’il est vrai que certains groupes et idéologies religieux sont impliqués, tant à d’autres époques que dans les débats actuels, l’image de la religion et de la sexualité au Canada est bien plus complexe. Les restrictions imposées à l’accès aux services et aux minorités sexuelles ne sont pas simplement d’ordre religieux. L’évolution des perceptions de l’identité religieuse et de la diversité sexuelle nuance encore davantage la relation entre les deux.

D 18 décembre 2017    AHeather Shipley

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