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Abattage rituel

L’abattage rituel en droit européen

Dans le cadre de la politique agricole commune, l’Union européenne a pour objectif de garantir la sécurité des produits alimentaires et de protéger le bien-être des animaux. Elle a engagé une (...)

Dans le cadre de la politique agricole commune, l’Union européenne a pour objectif de garantir la sécurité des produits alimentaires et de protéger le bien-être des animaux. Elle a engagé une harmonisation des législations nationales en matière sanitaire et vétérinaire en adoptant dès 1974 plusieurs dispositions concernant les règles d’abattage, tout en affirmant son rôle en matière de protection des animaux. Les particularités de l’abattage effectué dans le cadre de rites religieux sont prises en compte par le biais d’une dérogation qui permet que les animaux soient abattus par égorgement et saignée sans l’étourdissement préalable normalement requis. L’Union vise à concilier en la matière les exigences du bien-être des animaux et le respect du droit de manifester sa religion.

Entré en vigueur le 1er janvier 2013 et directement applicable dans tous les États membres, le règlement n° 1099/2009 du 24 septembre 2009 établit les règles relatives au bien-être animal lors de l’abattage d’animaux élevés ou détenus pour la fabrication de denrées alimentaires ou de produits comme la fourrure ou le cuir. Le règlement prévoit que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes » (art. 3) et définit des procédures détaillées relatives à l’immobilisation et l’étourdissement des animaux, à la formation des exploitants et à la conformité des installations et du matériel.

Des dispositions prévues pour l’abattage selon des rites religieux

Les animaux « sont mis à mort uniquement après étourdissement » et doivent être maintenus « dans un état d’inconscience et d’insensibilité » jusqu’à leur mort, à moins qu’ils fassent l’objet « de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux […] pour autant que l’abattage ait lieu dans un abattoir » (art. 4§1 et 4§4). Dans ce dernier cas, « les personnes chargées de l’abattage procèdent à des contrôles systématiques pour s’assurer que les animaux [mis à mort sans étourdissement préalable] ne présentent aucun signe de conscience ou de sensibilité avant de mettre fin à leur immobilisation et ne présentent aucun signe de vie avant l’habillage ou l’échaudage » (art. 5).

« La mise à mort et les opérations annexes sont effectuées uniquement par des personnes possédant le niveau de compétence approprié à cet effet sans causer aux animaux de douleur, détresse ou souffrance évitables. » L’abattage selon des pratiques religieuses constitue une des opérations pour lesquelles un certificat individuel de compétence est requis, celui-ci étant délivré par une autorité désignée par chacun des États membres qui détermine les conditions de formation et d’habilitation des opérateurs (art. 7 et 21).

Le règlement fixe par ailleurs des dispositions pour la construction, l’équipement et l’exploitation des abattoirs ainsi que pour les démarches de contrôle qui doivent être menées par leurs exploitants (art. 14 et art. 16). Ceux-ci doivent notamment désigner un « responsable du bien-être des animaux » afin de veiller à ce que toutes les procédures prévues soient respectées (art. 17).

Assurer la protection et le bien-être des animaux

En établissant des règles très précises relatives aux opérations d’immobilisation, d’étourdissement et de saignée, le règlement n° 1099/2009 s’applique à définir des modalités d’abattage qui visent à atténuer autant que possible la douleur, la détresse ou la souffrance des animaux, y compris lors de l’abattage rituel (cf considérant n° 43, art. 9§3 et art. 15§2). Le considérant 15 évoque d’ailleurs le protocole (n° 33) sur la protection et le bien-être des animaux annexé au traité d’Amsterdam dont les dispositions sont désormais intégrées en droit primaire à l’article 13 TFUE : elles prévoient que, dans leurs domaines d’intervention, « l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».

Des contextes nationaux différents

La référence aux législations et pratiques des États tient compte de la marge de manœuvre importante qu’il leur est accordée en matière de gestion des cultes, et donc également en ce qui concerne l’encadrement de l’abattage rituel. Le considérant n° 18 du règlement constate ainsi qu’« il importe de maintenir la dérogation à l’exigence d’étourdissement des animaux préalablement à l’abattage, en laissant toutefois un certain degré de subsidiarité à chaque État membre », étant donné que « les dispositions communautaires applicables aux abattages rituels ont été transposées de manière différente selon les contextes nationaux et que les dispositions nationales prennent en considération des dimensions qui transcendent l’objectif du présent règlement ». En effet, la dérogation à l’exigence d’étourdissement des animaux vise à respecter « la liberté de religion et le droit de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites, tel que le prévoit l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » (cons. 18).

Les États membres peuvent ainsi maintenir ou adopter des règles nationales visant à assurer aux animaux, au moment de leur mise à mort, « une plus grande protection que celle prévue par le présent règlement », en particulier en matière d’abattage rituel (art. 26§2 c). L’Union européenne définit donc des règles minimales sans viser à unifier le droit des États membres, lesquels ont pu imposer des contraintes plus strictes (étourdissement post saignée de l’animal), voire interdire l’abattage sans étourdissement préalable (cf Danemark, Finlande, Grèce, Luxembourg, Suède, certains Länder autrichiens, …)

Informer les consommateurs ?

Dans le cadre des travaux préparatoires au règlement n° 1099/2009, la Commission a relayé dans une étude d’impact les préoccupations d’ONG dénonçant les abus de certains abattoirs qui procéderaient à des abattages sans étourdissement excédant les seuls besoins religieux, les carcasses issues de ces abattages approvisionnant alors le marché alimentaire « classique ». Les ONG considèrent que les consommateurs doivent être correctement informés afin de pouvoir choisir d’acheter de la viande obtenue à partir d’animaux qui ont été étourdis (p. 16).

L’étiquetage des produits alimentaires relève de la législation européenne et notamment du règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Si celui-ci rend obligatoire l’indication du pays d’origine et du lieu de provenance de la viande, il ne prévoit pas d’information sur les modalités d’abattage. Cette question est cependant évoquée dans l’un des considérants du texte (n° 50), qui conseille d’envisager « une étude sur l’opportunité de donner aux consommateurs l’information pertinente au sujet de l’étourdissement des animaux ».

Dans sa résolution du 4 juillet 2012, le Parlement européen souligne qu’il « est particulièrement préoccupé par le fait que l’actuelle dérogation pour l’abattage sans étourdissement fait l’objet de nombreux abus dans certains États membres, au détriment du bien-être animal, des éleveurs et des consommateurs ». Il prie alors la Commission « d’accélérer le rythme de son évaluation de l’étiquetage de la viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement […] » (pt. 49).

L’étude demandée a été menée sous l’égide de la Commission européenne dans le cadre de la stratégie de l’Union pour la protection et le bien-être des animaux (2012-2015). Le rapport final (Study on information to consumers on the stunning of animals, 20 Feb. 2015) conclut que pour la plupart des consommateurs, l’information concernant l’étourdissement avant l’abattage n’est pas une question importante, tant qu’elle n’est pas portée à leur attention (p. 64). Le groupe de travail considère par ailleurs que l’étiquetage de la viande provenant d’animaux non étourdis entraînerait un risque élevé de stigmatisation des groupes religieux « en particulier dans le contexte politique actuel » (p. 66).

Enfin, en réponse à une question parlementaire (E-007576/2016), la Commission a répondu le 21 novembre 2016 qu’il est du ressort des « règles nationales » de prévoir que la dérogation à l’étourdissement préalable ne soit accordée « que pour répondre à un vrai besoin des communautés religieuses ». « Étant donné que le règlement n° 1099/2009 ne fixe aucune exigence en matière d’étiquetage et de traçabilité, c’est en premier lieu aux autorités compétentes des États membres responsables de son application qu’il incombe de veiller à ce que les prescriptions de son article 4, paragraphes 1 et 4 [dérogation pour l’abattage rituel], soient respectées. » La Commission juge ainsi que la traçabilité des produits n’est pas nécessaire à partir du moment où l’abattage sans étourdissement n’est opéré qu’en raison de besoins cultuels et fait l’objet d’un contrôle en ce sens par les autorités nationales. La France a par exemple pris un arrêté le 28 décembre 2011 prévoyant un système d’enregistrement permettant de vérifier qu’il n’est recouru à ce type d’abattage qu’à raison de commandes commerciales le justifiant.

Possibilité de s’approvisionner à l’étranger

Une demande de décision préjudicielle, présentée par un tribunal belge, relative à la dérogation pour abattage rituel prévue par le règlement n° 1099/2009 est pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-426/16) qui n’a pas eu à juger jusqu’à présent d’affaires liées à cette question. La Cour européenne des droits de l’homme s’est quant à elle prononcée dans un arrêt de Grande chambre du 27 juin 2000 (Cha’are Shalom ve Tsedek c. France, n° 27417/95) à propos du refus d’agrément de sacrificateurs opposé à une association cultuelle juive. Elle a notamment estimé qu’« en instituant une exception au principe de l’étourdissement préalable des animaux destinés à l’abattage, le droit interne a concrétisé un engagement positif de l’État visant à assurer le respect effectif de la liberté de religion » (§ 76). Selon la Cour, le refus d’agrément ne constitue cependant pas une ingérence dans le droit de l’association requérante à la liberté de manifester sa religion, étant donné que ses membres peuvent s’approvisionner en viande répondant à leurs exigences auprès d’une association agréée ou même en Belgique (§ 81).

Sur la question de l’approvisionnement, notons enfin que les viandes importées de pays tiers (hors UE) doivent présenter une attestation certifiant le respect de prescriptions applicables à la mise à mort et aux abattoirs au moins équivalentes à celles fixées par le règlement n° 1099/2009 (art. 12).

Pour en savoir plus :

D 24 juillet 2017    AFrançoise Curtit

Interdiction de l’abattage rituel : la position de la Cour européenne des droits de l’homme

Par un arrêt du 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la compatibilité de l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable avec le droit (...)

Par un arrêt du 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la compatibilité de l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable avec le droit à la liberté de religion. En l’espèce, la Cour avait été saisie par plusieurs personnes et associations juives et musulmanes, qui se plaignaient de l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, en vigueur en Région wallonne et en Région flamande (Belgique). Auparavant, la Cour constitutionnelle belge et la Cour de justice de l’Union européenne avaient déjà été amenées à se prononcer sur cet enjeu.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, les requérants affirment qu’il « deviendrait difficile, voire impossible, pour les croyants juifs et pour les croyants musulmans, d’une part, d’abattre des animaux conformément aux préceptes de leur religion et, d’autre part, de se procurer de la viande provenant d’animaux abattus conformément à ces préceptes religieux » (§ 42).

La Cour reconnaît sans difficulté que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable est susceptible de constituer une ingérence dans le droit à la liberté de religion de certains croyants. Conformément à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle doit donc vérifier que cette ingérence est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique. Si la première condition n’appelle en l’espèce pas de discussion, les deux autres sont analysées en détail par la Cour.

Concernant le but légitime, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé à plusieurs reprises que « la protection des animaux constitue une question d’intérêt général » (§ 94). Bien que la Convention ne protège pas le bien-être animal en tant que tel, la Cour estime que l’on peut le relier à la protection de la morale publique, qui figure parmi les objectifs légitimes énoncés à l’article 9 de la Convention. Pour ce faire, la Cour mobilise une interprétation évolutive de la Convention, à l’aide de sa doctrine selon laquelle ce texte est un « instrument vivant » (§ 97), qui évolue donc avec la société. La Cour observe en particulier « l’importance croissante de la prise en compte du bien-être animal au sein de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe » (§ 99) et le fait qu’il s’agit d’une « valeur éthique à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance croissante » (§ 99).

Concernant la proportionnalité de la mesure, la Cour rappelle la large marge d’appréciation des États à propos des relations entre les religions et les pouvoirs publics (§ 104). Elle souligne également que les décrets en cause ont été adoptés « au terme d’un processus parlementaire mûrement réfléchi » (§ 105). Pour ce faire, il y a eu une « vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux » (§ 109), même s’il s’agit, de la part des parlements concernés, davantage de la mobilisation de données existantes que d’une consultation initiée par eux. La Cour prend en compte également le contrôle juridictionnel approfondi exercé par la Cour constitutionnelle et par la Cour de justice. Elle note par ailleurs que « les deux décrets litigieux se fondent sur un consensus scientifique établi » (§ 116). Enfin, la Cour souligne que « les travaux parlementaires sont arrivés à la conclusion qu’aucune mesure moins radicale [que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement réversible préalable] ne pouvait réaliser suffisamment l’objectif » (§ 122) poursuivi. La mesure est donc proportionnée.

De cet arrêt, il résulte donc que les États membre du Conseil de l’Europe peuvent interdire l’abattage rituel sans étourdissement préalable. La Cour accorde toutefois une importance à la qualité du processus – en l’espèce législatif – menant à l’adoption de cette décision, ainsi qu’à la qualité du contrôle juridictionnel effectué par les juges nationaux – et, en l’espèce, également européens.

Pour terminer, les décrets wallon et flamand n’interdisent pas la vente de viande issue d’animaux abattus sans étourdissement préalable, par exemple importée. Il n’est ainsi pas exclu que la Cour soit amenée à nuancer sa jurisprudence, par exemple si une telle interdiction voyait le jour ou si l’accès de la viande issue d’animaux abattus conformément à ses convictions religieuses devenait particulièrement difficile.

D 13 mai 2024    ARomain Mertens

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