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Neutralité dans la fonction publique : la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

Depuis 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée à plusieurs reprises sur le port de signes convictionnels dans l’entreprise privée (voy. les arrêts Achbita, Bougnaoui, WABE et L.F.). Le 28 novembre 2023, elle a été amenée à préciser sa jurisprudence dans le contexte du secteur public.

L’arrêt O.P. contre Commune d’Ans concerne une personne, travaillant dans l’administration principalement sans contact avec le public, à laquelle il avait été interdit de porter le foulard islamique. Dans ce contexte, elle contestait, entre autres, le nouveau règlement de travail adopté par la commune où elle travaillait. Ce règlement prévoyait une politique de neutralité d’apparence stricte pour tous les membres du personnel.

Interrogée par le tribunal du travail de Liège (Belgique) sur l’interprétation à donner dans ce contexte au principe de non-discrimination prévu par la directive 2000/78, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé l’importante autonomie des pouvoirs publics pour choisir une politique de neutralité, en particulier sur trois points.

Premièrement, la Cour admet que l’objectif de « mettre en œuvre le principe de neutralité du service public » (point 32) est légitime. Contrairement à sa jurisprudence en matière d’entreprises privées, la neutralité n’est plus un moyen de répondre à un « besoin véritable », mais est un objectif que l’employeur public peut poursuivre en tant que tel.

Deuxièmement, « chaque État membre, y compris, le cas échéant, ses entités infra-étatiques, dans le respect des compétences qui leur sont reconnues, doit se voir reconnaître une marge d’appréciation dans la conception de la neutralité du service public qu’il entend promouvoir sur le lieu de travail » (point 33). Ainsi, le choix de la neutralité appliquée peut différer entre les États membres de l’Union européenne, mais également au sein d’un même État, entre niveaux de pouvoir ou au sein d’un même niveau de pouvoir. Pour autant que cela soit justifié à la lumière des circonstances, trois villes voisines pourraient donc chacune opter pour une politique de neutralité différente.

Troisièmement, la Cour de justice reconnaît que la notion de neutralité est multiple. Elle admet la légitimité de plusieurs formulations de celle-ci, qu’il s’agisse de la mise en place d’un « environnement administratif totalement neutre », d’une « autorisation générale et indifférenciée du port de signes visibles de convictions » ou encore d’une « interdiction du port de tels signes limitée aux situations impliquant de tels contacts [avec le public] » (point 33). Dès lors, la neutralité peut être exclusive ou inclusive, mais également se situer quelque part entre ces deux pôles. Dans chaque cas, une balance des intérêts doit néanmoins être effectuée afin d’évaluer la proportionnalité de la politique de neutralité choisie (point 40).

La Cour rappelle par ailleurs qu’une politique de neutralité ne peut se limiter à interdire les signes dits « ostentatoires ». En d’autres termes, si la neutralité implique l’interdiction des signes convictionnels, tous doivent être interdits dès lors qu’ils sont visibles, peu importe leur taille. Se limiter à l’interdiction de certains signes serait constitutif d’une discrimination directe.

Enfin, la Cour a refusé de se prononcer, pour des raisons de procédure, sur l’existence d’une discrimination sur la base du sexe ou du genre. Rappelons qu’une telle discrimination relève de la directive 2006/54.

D 13 mai 2024    ARomain Mertens

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