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Interdiction de l’abattage rituel : la position de la Cour européenne des droits de l’homme

Par un arrêt du 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la compatibilité de l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable avec le droit à la liberté de religion. En l’espèce, la Cour avait été saisie par plusieurs personnes et associations juives et musulmanes, qui se plaignaient de l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, en vigueur en Région wallonne et en Région flamande (Belgique). Auparavant, la Cour constitutionnelle belge et la Cour de justice de l’Union européenne avaient déjà été amenées à se prononcer sur cet enjeu.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, les requérants affirment qu’il « deviendrait difficile, voire impossible, pour les croyants juifs et pour les croyants musulmans, d’une part, d’abattre des animaux conformément aux préceptes de leur religion et, d’autre part, de se procurer de la viande provenant d’animaux abattus conformément à ces préceptes religieux » (§ 42).

La Cour reconnaît sans difficulté que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement préalable est susceptible de constituer une ingérence dans le droit à la liberté de religion de certains croyants. Conformément à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle doit donc vérifier que cette ingérence est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique. Si la première condition n’appelle en l’espèce pas de discussion, les deux autres sont analysées en détail par la Cour.

Concernant le but légitime, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé à plusieurs reprises que « la protection des animaux constitue une question d’intérêt général » (§ 94). Bien que la Convention ne protège pas le bien-être animal en tant que tel, la Cour estime que l’on peut le relier à la protection de la morale publique, qui figure parmi les objectifs légitimes énoncés à l’article 9 de la Convention. Pour ce faire, la Cour mobilise une interprétation évolutive de la Convention, à l’aide de sa doctrine selon laquelle ce texte est un « instrument vivant » (§ 97), qui évolue donc avec la société. La Cour observe en particulier « l’importance croissante de la prise en compte du bien-être animal au sein de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe » (§ 99) et le fait qu’il s’agit d’une « valeur éthique à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance croissante » (§ 99).

Concernant la proportionnalité de la mesure, la Cour rappelle la large marge d’appréciation des États à propos des relations entre les religions et les pouvoirs publics (§ 104). Elle souligne également que les décrets en cause ont été adoptés « au terme d’un processus parlementaire mûrement réfléchi » (§ 105). Pour ce faire, il y a eu une « vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux » (§ 109), même s’il s’agit, de la part des parlements concernés, davantage de la mobilisation de données existantes que d’une consultation initiée par eux. La Cour prend en compte également le contrôle juridictionnel approfondi exercé par la Cour constitutionnelle et par la Cour de justice. Elle note par ailleurs que « les deux décrets litigieux se fondent sur un consensus scientifique établi » (§ 116). Enfin, la Cour souligne que « les travaux parlementaires sont arrivés à la conclusion qu’aucune mesure moins radicale [que l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement réversible préalable] ne pouvait réaliser suffisamment l’objectif » (§ 122) poursuivi. La mesure est donc proportionnée.

De cet arrêt, il résulte donc que les États membre du Conseil de l’Europe peuvent interdire l’abattage rituel sans étourdissement préalable. La Cour accorde toutefois une importance à la qualité du processus – en l’espèce législatif – menant à l’adoption de cette décision, ainsi qu’à la qualité du contrôle juridictionnel effectué par les juges nationaux – et, en l’espèce, également européens.

Pour terminer, les décrets wallon et flamand n’interdisent pas la vente de viande issue d’animaux abattus sans étourdissement préalable, par exemple importée. Il n’est ainsi pas exclu que la Cour soit amenée à nuancer sa jurisprudence, par exemple si une telle interdiction voyait le jour ou si l’accès de la viande issue d’animaux abattus conformément à ses convictions religieuses devenait particulièrement difficile.

D 13 mai 2024    ARomain Mertens

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