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Verzuiling, ontzuiling : les piliers de la société néerlandaise de 1880 à 1970

Il est difficile de comprendre l’influence des religions aux Pays-Bas sans jeter un regard rétrospectif sur le phénomène de la verzuiling qui a profondément marqué la vie politique, sociale et culturelle des Pays-Bas du milieu du 18e siècle au deuxième tiers du 19e siècle. Les Églises réformées, alors majoritaires, ont joué un rôle majeur dans l’émergence et la fixation du phénomène, même si elles ont contribué ainsi à la reconquête catholique romaine du pays et contraint de fait les courants libéraux et socialistes à s’adapter à ce système. Bien que résiduels, ces piliers exercent encore une influence sensible sur le vivre-ensemble néerlandais.

Entre 1880 et 1970, l’organisation de la société néerlandaise repose sur quatre « piliers » (zuilen) idéologiques. Cette forme douce d’apartheid se traduit par le compartimentage du « vivre ensemble » en groupes exclusivement constitués sur la base de convictions religieuses, philosophiques ou sociales. Chaque courant possède ses propres organisations dans tous les domaines de la vie culturelle, sociale ou politique. Rendue possible par une modification de la Constitution qui accorde une entière liberté de culte à l’Église catholique romaine, cette organisation atteint sa forme définitive en 1880 sous la pression des catholiques et des protestants.

La montée en puissance

En 1848, les lois discriminant les catholiques sont abolies. En 1853, malgré la vive opposition des protestants, les catholiques obtiennent le rétablissement de leur organisation épiscopale. Ils tentent ensuite d’obtenir du gouvernement le financement de leur réseau scolaire et universitaire. Sous la présidence d’Abraham Kuyper, le gouvernement stimule la création de multiples organisations d’inspiration confessionnelle ou philosophique. En 1879 se crée le premier parti politique néerlandais : Parti Anti Révolutionaire (ARP). En 1880 est créée à Amsterdam la Vrij Universiteit (VU) d’inspiration protestante réformée. Les catholiques emboitent le pas en créant le RKSP (Roomsch-Katholieke Staatspartij), puis les socialistes le SDAP (Parti Social Démocrate des Ouvriers) et les libéraux la LU (Union Libérale). Une modification du mode de scrutin aux élections législatives conforte la domination des partis politiques sur le parlement en remplaçant le scrutin uninominal de circonscription par un scrutin de liste national.
Pour contrecarrer l’influence grandissante du libéralisme, catholiques et protestants optent séparément pour la constitution d’organisations propres. La volonté de maintenir une dichotomie au sein du vivre ensemble entre chrétiens et non chrétiens est particulièrement forte chez les protestants.

La fixation

Pendant cette période, c’est à propos du financement et de l’organisation de l’enseignement que les tensions sont les plus fortes. La pacificatie de 1917 ne met fin à la querelle scolaire qu’en renforçant la verzuiling par un jeu de concessions réciproques entre confessionnels et non-confessionnels. D’un côté, l’État assure le financement de l’enseignement privé et, de l’autre, le suffrage universel masculin est institué. D’une part, cette politique de compromis caractéristique de la politique néerlandaise du XXe siècle fixe le compartimentage de la société. De l’autre, les rapports de force entre partis varient peu et leur garantissent une base sociale stable, leurs directions peuvent donc collaborer. Cette collaboration est d’autant plus nécessaire qu’aucun parti ne peut à lui seul obtenir une majorité de gouvernement.

La dissolution

Suspendu entre 1940 et 1945 par les autorités d’occupation allemandes, le système des 4 piliers reprend vigueur avec la libération. Dès la libération, des intellectuels s’inspirant du personnalisme tentent sans succès de créer le Nederlandse Volksbeweging (Mouvement populaire néerlandais), alors que le nouveau Partij van de Arbeid (Parti du Travail) accepte explicitement dans ses rangs des adhérents catholiques et protestants.
Dans le milieu des années 60 et sous l’influence de la sécularisation, le fossé entre les différents piliers se comble progressivement. Les politiques d’État-providence de l’après-guerre favorisent le développement de l’individualisme au détriment de l’influence des piliers protestants et catholiques. En 1967, les partis confessionnels perdent la majorité absolue au parlement. Enfin, en 1970, la fusion des trois partis confessionnels protestants et catholiques aboutit à la création de la CDA (Christen Democratisch Appel) et d’une nouvelle chaîne audio-visuelle (TROS).

Une influence résiduelle mais vivace

Pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle la vie politique, culturelle et sociale des Pays-Bas a ainsi reposé sur quatre piliers : catholique, protestant-chrétien, social-démocrate et libéral. L’équilibre entre ces piliers a toujours été tel qu’aucun d’entre eux n’a pu acquérir une position hégémonique. Même s’il a fini par céder sous la pression libérale, ce système a laissé des traces dans la société néerlandaise (voir Médias et religion), surtout dans l’organisation de l’enseignement encore marquée par le confessionnalisme.

Sources : Examen overzicht, InfoNu.

D 18 mai 2021    ARichard Bennahmias

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