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Roumanie

  • Octobre 2020 : Les relations Église-État et la crise sanitaire dans la perspective des élections

Pour lutter contre l’infection par le SARS-COV2, les autorités ont limité un certain nombre de droits civils. Nombre des mesures prises ont porté atteinte, directement ou indirectement, à la liberté religieuse. À l’occasion des deux grands pèlerinages qui ont lieu chaque année en Roumanie, celui de sainte Parascève le 14 octobre et celui de saint Démétrios le 27 octobre, les autorités publiques ont décidé de n’autoriser l’accès à ces pèlerinages, vérifié sur la base de la pièce d’identité, qu’aux habitants des villes où ces fêtes ont eu lieu, soit Iasi et Bucarest.
Ces mesures restrictives, qui s’ajoutent aux mesures antérieures qui avaient affecté la célébration de Pâques, ainsi que celles annoncés pour les fêtes de Noël, mais surtout le manque de transparence et de dialogue de la part des autorités étatiques qui ont imposé ces restrictions sans en avoir préalablement discuté avec les représentants des confessions religieuses, ont été interprétées par ces derniers comme des actes visant délibérément la liberté religieuse et non comme des mesures objectives de lutte contre la pandémie.
Dans le sermon du service religieux de saint Démétrios, le patriarche de l’Église orthodoxe roumaine s’est même opposé aux mesures imposées par l’État, à travers un discours faisant référence au régime communiste athée, au cours duquel les chrétiens avaient été persécutés :
« À l’automne 1989, lors de la fête de saint Démétrios-le-Nouveau, le 27 octobre, les autorités communistes avaient interdit la vénération des reliques de saint Démétrios, au motif qu’une réunion importante se tenait le même jour dans le bâtiment adjacent, où était localisée la grande assemblée nationale. Ainsi, le patriarche Teoctist a-t-il été contraint de transférer le reliquaire de la cathédrale. […] Cette humiliation de saint Démétrios-le-Nouveau a été réparée en ce sens que quelques mois plus tard le régime communiste est tombé, … Nous voyons ici qu’« on ne peut pas se moquer de Dieu », comme le dit le saint apôtre Paul (Galates 6,7). Il souffre depuis longtemps, mais Il est également juste. Premièrement, son amour miséricordieux n’interdit pas sa justice. Sa justice est montrée quand Il veut corriger les gens, en utilisant parfois des médicaments amers, pas seulement des médicaments doux, pour corriger les gens, et ainsi Il leur permet d’être disciplinés par diverses difficultés. »

Les réactions de la société civile au message du Patriarche, qui est sans précédent dans l’histoire récente des relations Église-État en Roumanie, ont été nombreuses, rapides, et extrêmement acides. Elles sont principalement réparties en deux catégories : commentaires critiques à l’égard du Patriarche, de l’Église orthodoxe roumaine et des fidèles orthodoxe (un journaliste bien connu a même comparé les croyants orthodoxes à du bétail), et commentaires manifestement favorables. Un troisième type de commentaire attire l’attention sur le fait que le fond de ce conflit n’est pas d’ordre religieux, mais politique, compte tenu de l’approche des élections législatives prévues pour le 6 décembre 2020.

Le serment d’allégeance des élus locaux

La reprise des mandats par les nouveaux élus locaux a réactivé une controverse ancienne liée au serment d’allégeance que tous les dignitaires sont obligés de prêter lors de leur prise de fonctions.
Conformément à la loi (art. 117 du Code administratif), les conseillers locaux / départementaux prêtent serment en posant la main gauche sur la Constitution ou la Bible, en disant : « Je jure de respecter la Constitution et les lois du pays et de faire en toute bonne foi ce qui est en mon pouvoir et ma compétence pour le bien des habitants du secteur / de la ville / du comté ... Que Dieu m’aide ! » La formule religieuse finale respectera la liberté des croyances religieuses, le serment peut être prêté sans utiliser cette formule.
Plusieurs conseillers locaux ou départementaux nouvellement élus, représentants d’un parti politique qui compte plus de 40 membres au parlement roumain et 8 membres au parlement européen, ont refusé dans plusieurs localités, individuellement ou en bloc, de jurer sur la Bible. À l’approche des élections législatives de décembre 2020, et puisque ce parti politique s’affirme progressiste et anti-système, le boycott présumé du serment d’allégeance a été interprété comme un message électoral anti-chrétien, dirigé contre la religion majoritaire.

Gabriel Birsan
  • Mai 2020 : La polarisation et la radicalisation du discours religieux, effets de la crise sanitaire

L’épidémie de Covid 19 a amené les autorités à suspendre certains droits et libertés, notamment ceux concernant la vie religieuse collective. Cela a suscité un retour de la question des religions dans les débats publics, et un échange parfois tendu entre militants de la sécularisation et défenseurs des religions, sur différents débats. L’image des groupes religieux traditionnel, et leur capital de confiance, en a paradoxalement bénéficié. Les discussions ont été suscitées notamment par les restrictions de la liberté de culte, une campagne d’affichage exploitant l’imagerie sainte traditionnelle, des fausses informations fournies par des sites religieux, le traitement dont a bénéficié une personnalité religieuse infectée par la Covid 19, ou encore différentes critiques adressées aux religions et responsables religieux.
Un article complet détaillant ces différents débats est disponible en pdf.

Gabriel Birsan
  • Avril 2020 : La liberté religieuse pendant la crise sanitaire

Afin de prévenir la propagation de l’infection SARS-CoV-2, l’état d’urgence a été établi dans toute la Roumanie à partir du 16 mars 2020. Pendant l’état d’urgence, l’exercice de plusieurs droits a été restreint, notamment la libre circulation et la liberté de réunion. La limitation des libertés de circulation et de réunion des citoyens a inévitablement entraîné une détérioration de la vie religieuse publique.

À cet égard, des règles de distanciation sociale ont été progressivement mises en place. Actuellement, tous les lieux de culte sont fermés au public. Les services religieux continuent d’être célébrés par les ministres de culte, mais ils se font sans la participation du public, et ne peuvent être suivis que dans l’environnement virtuel. Les lieux de culte peuvent cependant être ouverts au public pour des situations particulières. Les mariages, les baptêmes et les cérémonies funéraires sont autorisés dans les lieux de culte, avec une assistance de 8 personnes maximum.

L’activité sociale de la plupart des groupes religieux a également été adaptée aux nouveaux besoins sociaux et médicaux. À cet égard, de vastes programmes d’assistance sociale ont été lancés pour aider les personnes qui ne peuvent pas se déplacer (personnes isolées ou mises en quarantaine, personnes âgées isolées). Des dons en argent ou en matériel et équipement sanitaires ont aussi été faits au système médical.

Étant donné que plus de 86 % des Roumains sont orthodoxes, et en prévision de la Pâque orthodoxe qui sera célébrée en 2020 le 19 avril, le ministère de l’Intérieur a conclu un accord avec l’Église orthodoxe roumaine visant à préserver l’esprit des traditions de Pâques et montrer le respect dû à l’Église. Cet accord établissait les conditions dans lesquelles les croyants orthodoxes pourraient recevoir la sainte lumière et le pain sacré traditionnel de Pâques.

Les dispositions de cet accord étant considérées comme risquées pour la santé publique, puisqu’elles pouvaient favoriser la propagation du virus par le non-respect de la distance entre individus, l’accord a été modifié à la suite d’une intervention ferme du président de l’État. Par conséquent, les croyants orthodoxes ne pourront pas quitter leur foyer pour recevoir la lumière sainte, mais ils le feront soit sur le seuil de la porte soit par la fenêtre de leur logement, ou par l’intermédiaire d’un représentant dans le cas des logements collectifs. La lumière sainte sera distribuée le 18 avril à partir de 20h par des bénévoles accrédités par les paroisses orthodoxes (5 au maximum par paroisse). Les mêmes bénévoles, respectant toutes les normes actuelles de protection et d’hygiène, distribueront, à la demande, le traditionnel pain sacré (appelé paști) les 17, 18 et 19 avril. Dans les centres sociaux, dans les centres de quarantaine mais aussi dans les hôpitaux qui ne sont pas desservis par un prêtre, la lumière sainte sera distribuée par le personnel du ministère de l’Intérieur.

Ajout de mai 2020 : Commentaire de l’expert roumain à l’OSCE sur la liberté religieuse en Roumanie pendant et après la pandémie sur la situation en Russie, aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Gabriel Birsan
  • Janvier 2019 : Les cultes religieux classés comme faible risque fiscal

Les représentants de l’Agence Nationale pour l’Administration Fiscale (ANAF) ont récemment fait savoir que, conformément à l’Ordonnance d’Urgence du Gouvernement n° 25/2018 (en roumain) modifiant le Code fiscal, les cultes religieux ont été classés comme présentant un faible risque fiscal.

Selon la nouvelle réglementation, à partir de 2019 les contribuables seront divisés en trois catégories de risque : a) les contribuables à faible risque fiscal ; b) les contribuables à risque fiscal moyen ; c) les contribuables à risque fiscal élevé. Les critères pour déterminer la classe de risque sont l’enregistrement fiscal, les déclarations d’impôts, le niveau de déclaration et d’exécution des obligations de paiement vis-à-vis du budget général consolidé.

En fonction de cette classification, des contrôles périodiques seront effectués.

À la suite de l’analyse des risques, les représentants de l’ANAF ont déclaré qu’aucun risque fiscal significatif n’a été évalué en ce qui concerne les activités spécifiques des organisations cultuelles. Par conséquent, aucune action de contrôle n’est requise. Dans ce contexte, les représentants de l’ANAF ont fait savoir qu’aucune action de contrôle n’avait été menée dans les organisations cultuelles dans les années 2017 et 2018. Cette décision est motivée par le fait que les cultes religieux bénéficient, dans certaines conditions, d’une exonération fiscale et sont en même temps dispensés de l’utilisation de caisses enregistreuses électroniques. Ces facilités fiscales accordées aux cultes sont dues à leur statut d’entités légales d’utilité publique reconnu par la loi 489/2006 sur la liberté de religion et le régime général des cultes, selon lequel les cultes exercent des activités économiques qui ne visent pas à réaliser un profit à des fins privées, mais visent un intérêt public général ou celui de certaines collectivités.

Gabriel Birsan
  • Mars 2007 : Les icônes dans les écoles publiques – brève histoire explicative

Pour comprendre la signification, dans la société roumaine contemporaine, de ces débats concernant la présence des icônes dans les écoles publiques roumaines, il faut rappeler quelques aspects de l’histoire récente de la Roumanie.
En 1989, dernière année de la dictature communiste, la société roumaine était marquée par un conflit entre la propagande athéiste officielle et l’immense potentiel spirituel et religieux qui alimentait, en cachette, l’espoir de liberté. La foi religieuse représentait la seule forme de résistance de la population au régime politique oppressif. La chute du régime communiste, en décembre 1989, a favorisé la présence des manifestations et aspirations religieuses dans les événements publics, le comportement religieux étant le plus souvent la preuve évidente de la libération du communisme et de ses conséquences sur le psychisme et le comportement humains. La religion a souvent été utilisée pour re-légitimer certaines personnalités publiques ayant appartenu à l`ancien système politique. Aucun événement public (dans la sphère de l’administration ou de la politique) ne commençait, à l’époque, sans la présence au moins d’un prêtre qui adressait des prières d’intercession pour le succès de l’action ou des activités de l’institution inaugurée. L’Eglise orthodoxe regagnait le prestige qui la caractérisait auprès du public avant l’instauration du régime communiste en 1948 et garantissait, par son autorité, la formation des institutions démocratiques de l’Etat roumain, du Parlement, du Gouvernement, des partis ou des institutions politiques. Dans ces conditions, des cours de religion ont été réintroduits dans les programmes scolaires, sur le modèle qui existait pendant la période de l’entre-deux guerres, avant l’avènement du pouvoir du communisme, en quelque sorte comme une réparation morale de la culture et de la spiritualité roumaines.
Bien que la religion ait été une discipline optionnelle pour les élèves des écoles primaires et des lycées après 1990, son introduction dans les programmes scolaires annuels s’est réalisée sans aucune opposition du corps enseignant ou de l’administration scolaire.
Sans législation spécifique, sans professeurs spécialisés et sans manuels scolaires, la religion a été le plus souvent enseignée par un prêtre ou par des étudiants en théologie dans les localités où fonctionnait une faculté de théologie. Ainsi, une forme populaire d’enseignement de la religion dans les écoles s’est-elle développée sous la forme d’heures hebdomadaires de catéchisme pour les élèves. Pour respecter la diversité religieuse du pays, dans les régions où la majorité de la population n’était pas orthodoxe, la religion enseignée était celle de la majorité religieuse. Petit à petit, des icônes ont été suspendues dans les écoles publiques aux murs des salles de classes, des laboratoires ou dans les espaces d’accès. Par excès de zèle, dans certains cas, une simple photocopie d’une icône devenait une nouvelle icône, en dénaturant ainsi la signification spirituelle et en diminuant son importance religieuse orthodoxe.
En estimant que la présence des icônes dans les écoles affecterait la liberté de l’élève dans le choix de la religion, Emil Moise, professeur de philosophie dans un lycée de la ville de Buzau, demanda en 2006 au Ministère de l’éducation et de la recherche d’interdire la présence des icônes orthodoxes dans les écoles publiques. Son action, motivée par le respect de la liberté de foi et de religion de chaque citoyen, a déclenché un débat public sans précédent, enflammant tant la classe politique que les intellectuels et la société civile, sans oublier l’Eglise orthodoxe roumaine. Celle-ci a vu dans l’action du professeur une démarche athée anti-orthodoxe qui visait, selon les représentants de l’Eglise, l’amoindrissement de la foi orthodoxe parmi les élèves. De nombreux débats ont eu lieu à la fin de 2006 et au début de 2007. Même si d’autres problèmes sont au centre des préoccupations de la population, le climat conflictuel concernant l’enlèvement des icônes des écoles publiques persiste et semble encore alimenter, avec nombre d’arguments, les débats.

Laurenţiu Tănase, Lucreţia Vasilescu, Manuela Gheorghe
  • Décembre 2006 : les icônes dans les salles de classe des écoles publiques

Le 12 août 2006, Emil Moise, professeur de philosophie dans un lycée de Buzau (sud-est de la Roumanie), a présenté au Conseil national pour le combat contre la discrimination (CNCD), organisme gouvernemental, une requête concernant "l’enlèvement des symboles religieux dans les unités publiques d’enseignement".
Le geste du professeur a suscité débats et polémiques au sein de toute la société roumaine. Emil Moise précise dans la pétition sa position contre la présence des icônes dans les écoles publiques, affirmant qu’il n’est opposé ni à l’enseignement religieux dans les écoles, ni à la présence des icônes dans l’espace privé. D’après lui, les icônes accrochées aux murs des salles de classe représentent "une discrimination par rapport aux enfants appartenant à d’autres religions et une menace au droit à la liberté de conscience et d’option religieuse". L’auteur de la pétition parle aussi de "la violation de la liberté de pensée de tous les enfants de Roumanie, le but de l’école étant de former des personnalités autonomes qui, à leur majorité, puissent choisir, sans aucune influence, de conserver leur religion, de devenir athées ou d’adopter une autre religion” (V. Borza, "Moise nu vrea icoane în scoli" in Cotidianul, le 15 novembre 2006 ; C. Patrasconiu, "Bunul simt dupa Moise" in Cotidianul, le 15 novembre 2006).
La démarche du professeur Emil Moise a été soutenue par plusieurs organisations non gouvernementales qui ont présenté au CNCD une lettre ouverte de soutien. Celle-ci comportait d’autres arguments en faveur de l’initiative du professeur. Ont été invoqués l’article 4 de la Constitution de la Roumanie en ce qui concerne "l’égalité de traitement entre les élèves et les professeurs appartenant à des confessions différentes", et son article 29 interdisant l’ingérence de l’Etat dans la pensée, les opinions et les croyances religieuses. L’article 5 de la Déclaration de l’ONU concernant l’élimination de toute forme de discrimination a été mentionné également, ainsi que l’article 14 de la Convention sur les droits de l’enfant et la Loi sur les droits de l’enfant qui précise que les jeunes ont le droit de choisir seuls leur religion à partir de l’âge de 16 ans.
En réponse à la pétition présentée par Emil Moise, le CNCD a remis le 21 décembre 2006 sa décision n° 323 qui recommande au Ministère de l’Education et de la recherche d’interdire les icônes dans les écoles. Cette décision précise que "la présence illimitée et non contrôlée des icônes dans les institutions publiques d’enseignement constitue une violation du principe de la neutralité religieuse de l’Etat".

Laurenţiu Tănase, Lucreţia Vasilescu, Manuela Gheorghe

D 2 juin 2020    AGabriel Birsan ALaurenţiu Tănase ALucreţia Vasilescu AManuela Gheorghe

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