France
- Juillet 2023 : Le Conseil d’État rend sa décision concernant le port de signes exprimant des convictions lors des matchs de football
Plusieurs associations ont demandé à la Fédération française de football (FFF) d’abroger l’article 1er de ses statuts en ce qu’il interdit le port, pendant les matchs, de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Le Conseil d’État a finalement été saisi par ces associations.
En 2006, la FFF avait modifié l’article 1er de ses statuts et interdit, entre autres, tout port de signes ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale lors de compétitions. Plusieurs associations demandent alors l’abrogation de cette interdiction. Le refus de la FFF entraine une saisine du Conseil d’État qui a rendu sa décision le 29 juin 2023.
Dans cette décision, le Conseil d’État statue sur deux catégories de personnes.
D’un côté, les personnes sélectionnées dans les équipes de France. Elles sont soumises au principe de neutralité du service public. Le Conseil d’État rappelle que la Fédération est délégataire d’une mission de service public, elle est donc tenue de prendre toutes les dispositions pour que ses agents et les personnes participant à l’exécution d’une mission de service public, sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, s’abstiennent de toute manifestation de leurs convictions et opinions pour garantir la neutralité du service public dont elle est chargée. Ainsi, les personnes que la Fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre, sont soumises au principe de neutralité du service public.
De l’autre côté, les autres licenciés de la FFF ne sont pas soumis au principe de neutralité du service public mais aux statuts de la Fédération. La fédération sportive délégataire a un pouvoir réglementaire pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui est confié. Il lui revient donc de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d’assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu (réglementation des équipements et tenues par exemple). Ces règles peuvent avoir pour objet de limiter la liberté des licenciés d’exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et liberté d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs. Le Conseil d’État juge, sur cette base, que la FFF a pu légalement interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical » et « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande » qui sont de nature à faire obstacle au bon déroulement des matchs. Par ailleurs, il juge que l’interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, limitée au temps et lieux des matchs de football, apparait nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport.
La question du port de signes religieux dans le sport a été extrêmement médiatisée, souvent en dénaturant les termes du débat juridique. Le Conseil d’État a d’ailleurs reçu des menaces avant de rendre sa décision.
Au niveau strictement juridique, la nécessité d’interdire le port de signes exprimant des convictions pour assurer le bon déroulement des matchs est très discutable, le risque d’affrontement ou de confrontation n’ayant jamais fait l’objet d’études précises.
Les conséquences sont perceptibles à la fois sur le terrain - l’interdiction étant faite aux femmes qui portent le voile d’entrer sur le terrain lors des compétitions – et dans une partie de la société civile, qui s’interroge sur ces restrictions de la liberté religieuse.
Lauren Bakir
- Septembre 2022 : Évolution du régime juridique des associations exerçant des activités cultuelles : la loi du 24 août 2021 est jugée conforme à la liberté d’association
La décision du 22 juillet 2022 du Conseil constitutionnel traite de dispositions législatives relatives au régime juridique des associations exerçant des activités cultuelles. L’Union des associations diocésaines de France et les autres requérants posent la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de deux séries d’articles issus de la rédaction de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : d’une part, les articles 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État et d’autre part, les articles 4, 4-1 et 4-2 de la loi 2 janvier de 1907 relative à l’exercice public des cultes.
L’article 19-1 de la loi de 1905 prévoit désormais que, pour bénéficier des avantages accordés aux associations cultuelles constituées sur le fondement de cette même loi, les associations doivent déclarer leur qualité cultuelle au représentant de l’État dans le département. Celui-ci peut, à certaines conditions, s’opposer à ce qu’elles bénéficient de ces avantages. Le Conseil constitutionnel juge d’une part que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de laïcité : leur objet est d’instituer une obligation de déclaration pour permettre au représentant de l’État de s’assurer que les associations sont éligibles aux avantages propres aux associations cultuelles. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’emporter la reconnaissance d’un culte par la République ou de faire obstacle au libre exercice du culte. De plus, le représentant de l’État ne peut s’opposer à ce qu’une association bénéficie des avantages propres aux associations cultuelles qu’après une procédure contradictoire et uniquement dans certains cas précisément énumérés. D’autre part, le Conseil contrôle la conformité de ce régime déclaratif à la liberté d’association et juge qu’il n’a pas pour objet d’encadrer les conditions dans lesquelles les associations se constituent et exercent leur activité. En revanche, le retrait par le représentant de l’État du bénéfice de ces avantages est susceptible d’affecter les conditions dans lesquelles une association exerce son activité. Le Conseil émet donc une réserve d’interprétation : ce retrait ne peut conduire à la restitution d’avantages dont l’association a bénéficié avant la perte de sa qualité cultuelle, car cela porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’association.
Par ailleurs, l’article 4-2 de la loi de 1907 permet au représentant de l’État, si une association a des activités en relation avec l’exercice public d’un culte sans qu’elle l’ait explicitement déclaré, de mettre cette association en demeure de modifier ses statuts pour que ses activités y soient conformes. Cet article est déclaré conforme à la Constitution. Quant aux articles 4 et 4-1 de la même loi, qui soumettent les associations ayant des activités en relation avec l’exercice public des cultes à des obligations administratives et financières, le Conseil juge que le législateur a entendu renforcer la transparence de l’activité et du financement des associations assurant l’exercice public d’un culte – cela poursuit l’objectif de sauvegarde de l’ordre public. Il note ensuite que les associations sont soumises à des obligations consistant notamment à établir une liste des lieux dans lesquels elles organisent habituellement le culte, à présenter des documents comptables et le budget prévisionnel de l’exercice en cours sur demande du représentant de l’État, et à certifier leur compte quand elles ont bénéficié de financements étrangers pour certains montants. Il émet à cet égard une seconde réserve d’interprétation : ces obligations sont nécessaires et adaptées à l’objectif du législateur mais le pouvoir réglementaire devra veiller, en fixant des modalités spécifiques de mise en œuvre de ces obligations, à respecter les principes constitutionnels de la liberté d’association et le libre exercice des cultes.
En dehors de ces deux réserves, le Conseil déclare la loi conforme à la Constitution.
Voir aussi : La loi confortant le respect des principes de la République, n°13 de la Revue du droit des religions, mai 2022
Lauren Bakir
- Avril 2021 : Loi confortant les principes de la République
L’examen au Sénat du projet de loi confortant les principes de la République a commencé le 30 mars.
Ce projet de loi avait été annoncé en 2020 par le président de la République Emmanuel Macron.
Lors du premier passage de la loi à l’Assemblée nationale en février 2021, juifs, chrétiens et musulmans avaient exprimé leur inquiétude devant ce texte.
Avant le débat au Sénat, les chrétiens ont à nouveau exprimé leurs craintes dans une déclaration publiée le 10 mars. Les responsables, catholique, protestant et orthodoxe, de France avaient estimé que ce texte allait à l’encontre de la séparation des Eglises et de l’Etat opérée par la loi de 1905 et « [risquait] de porter atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d’association ». En effet, nombre de groupes religieux sont organisés selon le régime général d’association (dit loi de 1901). Le projet de loi les incite à s’inscrire sous le régime de 1905, plus transparent sur le plan comptable et financier, en échange d’avantages fiscaux ou financiers. Cette modification de l’organisation s’accompagne cependant d’obligations (comme la certification des comptes) et de contrôles, qui font craindre pour la liberté de religions.
Le ministre de l’Intérieur a assuré en réponse que le texte « ne mena[çait] en rien la liberté des religions » (voir Le Monde), et que la loi de 1905 avait déjà subi de nombreuses modifications sans que ses principes n’aient été remis en cause.
Le 25 mars, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu un second avis sur le projet de loi https://www.cncdh.fr/fr/actualite/second-avis-sur-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique. Elle affirme à nouveau que le texte doit faire l’objet de révisions. Elle s’oppose notamment à la mise en place dispositif de double déclaration pour les associations et les unions cultuelles et souhaite aussi que l’obligation de neutralité ne puisse être étendue qu’aux personnes en relation directe avec les usagers du service public. Elle formule également des recommandations portant sur les conditions de mise en œuvre de l’exercice du culte.
L’examen au Sénat du projet de loi, adopté en première lecture par les députés en février, a commencé le 30 mars. Plus de 600 amendements ont été déposés.
Ce même jour, la Conférence des Responsables de Culte en France (créée en 2010 et regroupant six instances responsables du bouddhisme, des Églises chrétiennes - catholique, orthodoxe, protestante-, de l’islam et du judaïsme) a publié une tribune sur la laïcité.
Anne-Laure Zwilling
- Décembre 2020 : L’Eglise catholique, la liberté de culte et l’épidémie (suite)
Le 16 novembre 2020, les représentants des cultes ont rencontré le Premier ministre Jean Castex et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin afin d’étudier les éventuelles évolutions des modalités d’exercice du culte dans le contexte de la pandémie de Covid 19. Néanmoins, le 24 novembre, lorsque le président de la République Emmanuel Macron a détaillé les mesures d’assouplissement du second confinement que connaît la France depuis le 29 octobre, il a annoncé que l’assistance aux offices religieux serait limité à 30 personnes. Les responsables des différents groupes religieux ont manifesté leur surprise et leur regret de ne pas avoir été mieux entendus, jugeant cette limite peu rationnelle et inapplicable.
Du fait de l’importance qu’ils accordent à la participation à la messe, les catholiques ont notamment fortement milité en ce sens. Lancée lors du premier week-end de confinement, la pétition Pourlamesse.fr avait recueilli plus de 100 000 signatures en une semaine. Partie des milieux les plus traditionalistes, la revendication a finalement été soutenue par la Conférence des évêques de France, qui a déposé le 27 novembre un référé liberté au Conseil d’État, comme plusieurs autres associations.
Dans sa décision du 29 novembre 2020, le juge des référés ordonne au gouvernement de modifier cette limite de 30 personnes sous trois jours, en l’adaptant par exemple à la superficie des établissements ou à leur capacité d’accueil, afin que celle-ci soit strictement proportionnée au risque sanitaire. Le Conseil d’État a estimé que « la particularité des cérémonies religieuses ne suffit pas à justifier le plafond de 30 personnes imposé à tous les établissements de culte quelle que soit leur taille », que ce plafond était disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et que le gouvernement avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale qu’est la liberté de culte.
Il a appelé à une concertation avec les représentants des principaux cultes.
Le 2 décembre, dans un communiqué de presse, le ministre de l’Intérieur M. Darmanin a indiqué que dans le cadre des échanges avec les représentants des différents cultes, « une nouvelle jauge de présence dans les édifices du culte a été établie ». Les cérémonies religieuses sont autorisées à condition de laisser deux sièges libres entre chaque personne ou entité familiale, ainsi qu’une rangée occupée sur deux.
Les discussions doivent se poursuivre, pour préparer l’évolution des mesures de confinement attendues pour le 15 décembre.
Voir le Décret n° 2020-1505 du 2 décembre 2020 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire
Anne-Laure Zwilling
- Novembre 2020 : Laïcité, liberté d’expression et liberté de religion
Les débats sur une question qui suscite fréquemment les passions en France, les religions et la laïcité, ont à nouveau été très vifs au mois de novembre. Ils sont également complexes et très enchevêtrés, tant ils se trouvent mêlés à d’autres éléments discutés de la vie sociale et politique française, et tant les passions sont fortes autour des convictions personnelles. A cela s’ajoutent le confinement et les restrictions dues à la crise sanitaire qui rendent le climat social particulièrement difficile.
Le débat a d’abord été tourné vers la question de la liberté d’expression. Il a été amplifié, au moment même où se tient le procès des auteurs de l’attentat commis contre la rédaction du journal Charlie Hebdo en 2015, par plusieurs événements tragiques.
Le premier de ces événements a été un attentat commis le 25 septembre par un jeune Pakistanais qui blesse grièvement à l’arme blanche deux personnes se tenant près des anciens locaux de Charlie Hebdo.
Cette attaque a été suivie le 16 octobre par l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire géographie au collège de Conflans-Sainte-Honorine (grande banlieue parisienne). Quelques jours après un cours sur la liberté d’expression, pendant lequel l’enseignant aurait montré aux élèves diverses caricatures dont certaines du prophète Muhammad, Samuel Paty a été tué puis décapité, lorsqu’il rentrait du collège, par un individu ayant affirmé agir au nom du prophète de l’islam.
Très vite, la discussion a opposé, pour le dire de façon simple mais évidemment réductrice, partisans de la liberté d’expression en toutes circonstances et tenants du respect des convictions religieuses.
Ainsi, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui, a-t-il suscité la polémique en appelant à "encadrer" l’utilisation des caricatures de Mahomet dans l’enseignement. Il reviendra d’ailleurs sur ses propos quelques jours plus tard, déplorant ce qu’il appelle une maladresse. Certains évêques catholiques (par exemple Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes) ont tenu un discours semblable, de même que le Haut représentant pour l’Alliance des civilisations des Nations Unies, l’Espagnol Miguel Angel Moratinos, qui a appelé dans un communiqué "au respect mutuel de toutes les religions et croyances".
De façon générale, la position française a été assez mal perçue à l’étranger (voir par exemple la Bulgarie), notamment aux Etats-Unis, dont la presse a été fortement critiquée en France pour leur façon de présenter la situation : le New York Times a ainsi beaucoup choqué en intitulant son article "La police française tire et tue un homme après une attaque meurtrière au couteau" (titre qui a été changé depuis). Il est fréquent que les Américains peinent à comprendre la situation française.
Mais le président Macron, qui a défendu le droit à la caricature lors de l’hommage national rendu à Samuel Paty le 26 octobre, a suscité les critiques et les appels à boycott dans de nombreux pays à majorité musulmane. Le président s’est employé ensuite à expliquer sa position, défendant la liberté d’expression, disant comprendre que les caricatures puissent choquer mais réaffirmant que cela ne justifie aucune violence. Le ministère des Affaires étrangères a appelé de son côté à faire "cesser" ces manifestations qui proviennent d’une "minorité radicale".
Emmanuel Macron semble refléter l’opinion des Français sur le droit à caricaturer les personnages religieux, qui a évolué ces dernières années : 59% des Français estiment que les journaux avaient « raison » de publier ce type de caricatures « au nom de la liberté d’expression », alors qu’ils n’étaient que 38% de cet avis en février 2006 (enquête IFOP Les Français sont-ils encore Charlie ?).
Le 29 octobre, quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, une attaque au couteau dans une basilique de Nice a fait 3 morts.
Ces événements ont été le déclencheur d’actions fortes menées par l’Etat français, mesures qui s’inscrivent dans ce que le président Emmanuel Macron appelle la lutte contre les séparatismes dont il avait exposé les grandes lignes le 2 octobre dans un discours sur les séparatismes et la laïcité.
Ainsi, plus d’une cinquantaine de structures associatives accusées de liens avec le salafisme ou les Frères musulmans, dont le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France, association se donnant pour objectif de lutter contre les actes islamophobes), et l’ONG Baraka City, ont été dissous, ainsi qu’une cinquantaine de structures associatives. La mosquée de Pantin, accusée par les autorités d’avoir relayé des propos ayant conduit à l’assassinat de Samuel Paty, a été fermée pour 6 mois.
Un élément de l’assassinat de Samuel Paty passe de ce fait au second plan, alors qu’il soulève des questions tout aussi importantes : le rôle des réseaux sociaux. C’est en effet à la suite d’une dénonciation devenue virale sur les réseaux sociaux, accusation qui s’est révélée mensongère, que l’enseignant est devenu une cible.
Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, a soumis mercredi 18 novembre au Conseil d’Etat une nouvelle proposition destinée à réprimer plus rapidement la diffusion de messages de haine dans l’espace public, notamment au travers des réseaux sociaux, ce que certains voient là encore comme une restriction de la liberté d’expression.
Liberté d’expression et liberté de religion, les questions soulevées par ces libertés ne semblent pas près de cesser.
Anne-Laure Zwilling
- Février 2020, "l’affaire Mila"
Au début de l’année 2020, un incident a embrasé les réseaux sociaux, suscitant un court mais intense débat national.
A l’origine de cela, les propos d’une adolescente, Mila, contre l’islam et les musulmans. La jeune fille, qui s’affiche comme lesbienne rejette les avances d’un autre adolescent dans un échange sur son compte Instagram. Il l’insulte alors de façon raciste et homophobe. Les menaces ayant pris un tour religieux, Mila publie un message affirmant son rejet de toutes les religions. Cela suscite une vague de messages d’internautes furieux de cette « insulte à la religion ». Mila met alors en ligne une vidéo dans laquelle, en termes très crus, elle affirme son rejet et son mépris de l’islam.
A la suite de cela, l’adolescente a reçu une pluie d’insultes et de menaces, dont des menaces de mort, envoyées par des milliers d’utilisateurs d’Instagram, Twitter, et Snapchat. Ses informations personnelles, nom, adresse et numéro de téléphone, ont été rendues publiques. Les responsables de son établissement scolaire ont indiqué qu’il valait mieux, dans ces conditions et pour sa sécurité, que Mila ne se présente pas à son lycée les jours suivants. Mila changera ensuite d’établissement scolaire.
Le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) Abdallah Zekri a tenu sur Sud Radio des propos qui ont suscité une forte réprobation, notamment en disant "Qui sème le vent récolte la tempête". Peu après, le président du CFCM Mohammed Moussaoui apaise les tensions en tweetant que « rien ne saurait justifier les menaces de mort à l’égard d’une personne, quelle que soit la gravité des propos tenus. C’est la justice qui doit prononcer les sanctions prévues par la loi s’il y a provocation et incitation à la haine. » Il ajoutera dans un communiqué : « Nous devons accepter que l’islam soit critiqué y compris dans ses principes et fondements. […] La liberté d’expression est fondamentale. Elle est source d’enrichissement et de progrès par la diffusion d’idées et d’opinions qu’elle permet. Elle est le fondement de notre démocratie et le rempart contre toutes les formes d’aliénation. »
Plusieurs personnalités politiques s’expriment à leur tour sur ce sujet. La ministre de la Justice Nicole Belloubet veut soutenir Mila, en affirmant que les menaces de mort sont inacceptables en démocratie, mais a la maladresse de dire que "l’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience". Ceci est contraire à la loi française, comme le fera remarquer l’avocat Richard Malka : "le fondement de la liberté de conscience n’est pas d’interdire la critique ou même l’injure mais de protéger la liberté d’expression".
Le président de la République Emmanuel Macron réaffirmera à son tour le droit au blasphème et à critiquer les religions (voir par exemple Le Monde).
L’affaire a été abondamment médiatisée. De très nombreux internautes se sont également exprimés sur la question, certains condamnant les propos tenus par Mila avec le mot-clé #JeNeSuisPasMila, d’autres lui déclarant leur soutien avec #JeSuisMila.
En cela, ils sont l’illustration des résultats d’une enquête de l’institut IFOP, Les Français, l’affaire Mila et le droit au blasphème, qui révèle un pays partagé en deux sur cette possibilité de critiquer les religions : (50% des interviewés se disent favorables au droit de critiquer sans limites la religion, l’autre moitié y est opposée - voir FranceTv info).
Deux variables ont une importance particulière : l’âge et la religion. Ainsi, 59% des 18-24 ans et 51% des 25-34 ans estiment que l’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience, alors que cette opinion est minoritaire chez les plus de 35 ans. En ce qui concerne la religion, les musulmans sont 68% à assimiler l’injure envers une religion à une atteinte à la liberté de conscience, dont 46% sont "tout à fait d’accord".
C’est chez les 18-24 ans que l’opposition à la critique des croyances et des dogmes est la plus forte : seuls 41% défendent le "blasphème" (contre 31% dans les autres catégories d’âge). On peut y voir l’influence de la manière américaine de voir les choses ; l’importance des jeunes dans l’appartenance religieuse musulmane joue probablement également un rôle.
Selon l’enquête de l’IFOP, 30% de Français seraient d’accord avec l’affirmation d’Abdallah Zekri ("Qui sème le vent récolte la tempête"), 44% avec la ministre de la Justice ("l’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience").
A la suite de cette affaire, deux enquêtes ont été ouvertes : l’une contre Mila, pour appel à la haine, sera classée sans suite. Selon le procureur de la République, les propos diffusés exprimaient une opinion personnelle à l’égard d’une religion, mais sans volonté d’exhorter à la haine ou à la violence. L’autre plainte, pour appel au meurtre, est en cours.
La question de fond que soulève l’affaire Mila, comme l’avaient fait les caricatures de Mahomet et l’attaque terroriste du journal Charlie Hebdo (ou encore d’autres affaires plus anciennes et peut-être moins médiatiques, une publicité de Volkswagen pour la Golf en 1998 de l’agence DDB Paris, ou la publicité de Benetton montrant deux religieux s’embrassant sur la bouche), est celle de ce que l’on appelle le droit au blasphème, de façon impropre puisqu’en réalité, seuls les croyants peuvent évoquer un blasphème, et que cette notion n’existe plus en droit français. Il s’agit en réalité du droit de critiquer les religions, leurs symboles ou leurs convictions, même si c’est de manière extrême et choquante. Il semblerait qu’en France, l’unanimité soit loin d’être faite sur cette question.
À consulter sur ce sujet :
– des articles de journaux : Francetv info, Marianne, 20 minutes, Le Monde.
– L’enquête de IFOP pour Charlie Hebdo, février 2020, Les Français, l’affaire Mila et le droit au blasphème
– Un livre : #JeSuisMila #JeSuisCharlie #NousSommesLaRépublique, 50 personnalités s’expriment sur la laïcité et la liberté d’expression, Seramis, 2020
Anne-Laure Zwilling
- 28 août 2017 : invalidation de la fin des menus sans porc dans les cantines de Chalon-sur-Saône
Le 28 août 2017, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de la ville de Chalon-sur-Saône qui, en septembre 2015, avait supprimé les menus de substitution au porc dans les cantines scolaires (voir ci-dessous « Septembre 2015 : menus de substitution vs menus végétariens dans les cantines scolaires »). Le tribunal a estimé que « cette décision n’a pas accordé, au sens de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, une attention primordiale à l’intérêt des enfants ». Il a précisé dans un communiqué qu’il se prononçait dans cette affaire pour le seul cas des cantines scolaires de Chalon-sur-Saône et qu’il ne s’agissait pas d’une position de principe à caractère général.
Le maire Les Républicains de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, a annoncé que la commune allait faire appel de la décision du juge. Etant donné que cette décision est intervenue quelques jours seulement avant la rentrée scolaire et qu’elle est matériellement impossible à mettre en place dans un temps aussi court, le maire a décidé de maintenir le fonctionnement actuel des cantines et « d’assortir son appel auprès de la Cour administrative d’appel de Lyon d’un référé suspension ».
Pour en savoir plus : le Figaro, France Info.
Catherine Zimmerlin
- Septembre 2016 : la laïcité, encore
Dans un contexte de débat constant autour de la question de la laïcité, relancé à nouveau cet été par les décisions de justice concernant le port du burkini (voir les débats d’août 2016), l’Observatoire de la laïcité (dont la mission est "d’assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France"), vient de publier deux documents.
Le premier, Déclaration pour la laïcité, est décliné selon la devise de la République française : liberté, fraternité et égalité. Il souligne que la laïcité doit évoquer avant tout la liberté, liberté de conscience et de pratique religieuse, même si les manifestations publiques de celle-ci sont juridiquement encadrées. La laïcité permet d’assurer l’égalité des citoyens par le principe de la séparation de l’Etat et de la religion. Elle vise également à contribuer à l’idéal de fraternité.
Le second, Libertés et interdits dans le cadre laïque, expose de façon plus détaillée comment le principe de laïcité implique des interdits et limites, variables selon les espaces, mais aussi garantit des libertés et des droits.
En 2014, l’observatoire avait publié une note d’orientation, qui d’abord rappelait l’histoire de la construction du principe de laïcité, puis exposait la signification juridique de la laïcité ainsi que son retentissement sur la société, enfin, détaillait l’application du principe de laïcité aux réalités contemporaines.
Anne-Laure Zwilling
- Juin 2016 : écoles privées et enseignement à la maison
La ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem a indiqué le 9 juin que le gouvernement a l’intention de modifier le régime d’ouverture des établissements d’enseignement privé hors contrat. Pour des raisons historiques, l’enseignement ayant longtemps été le privilège de l’Eglise, le débat sur la liberté d’enseignement est très lié en France aux questions de religion. Ce débat avait été relancé en avril par la proposition de loi visant à renforcer l’encadrement des établissements privés hors contrat du député Les Républicains Eric Ciotti.
Trois types d’établissements d’enseignement existent en France : les écoles publiques, les établissements privés « sous contrat », et ceux « hors contrat » (voir École et religion en France). Les écoles publiques forment la majorité des établissements. Plus de 90% des établissements privés ont passé un contrat avec l’État, ce qui leur permet de recevoir des subventions de l’État ou des collectivités régionales, l’État assurant alors un contrôle pédagogique. Par ailleurs, il est obligatoire en France d’instruire les enfants, mais il n’est pas obligatoire que cette instruction se fasse à l’école ; sous certaines conditions, l’instruction peut se faire dans la famille. On constate ces dernières années une hausse des effectifs, dans l’enseignement privé hors contrat comme à domicile.
Les établissements privés hors contrat n’accueillent que 0,5% de l’ensemble des élèves. Ils choisissent librement leur programme d’enseignement, mais restent soumis au contrôle de l’État notamment en ce qui concerne les questions d’hygiène et sécurité. Une inspection dans plusieurs de ces établissements, en décembre 2015, avait révélé des dérives dans certains d’entre eux.
Invoquant la lutte contre la radicalisation, le gouvernement veut d’une part renforcer les contrôles sur l’instruction à domicile ou dans les établissements hors contrat, d’autre part modifier les règles d’ouverture d’une école privée. Un projet de décret soumis le 9 juin au Conseil supérieur de l’éducation, et des changements dans le Code de l’éducation, visent notamment à conditionner la création de toute nouvelle école privée à l’autorisation préalable des autorités publiques, alors qu’actuellement une déclaration d’intention suffit.
Ces informations ont relancé un débat qui a été très vif dans le passé, entre ceux qui voient dans ces contrôles une atteinte aux libertés (par exemple ici ou ici), et ceux qui voient dans l’instruction donnée hors des écoles publiques une menace pour le vivre ensemble.
Sur ce sujet, voir Le Monde, L’observateur, La Croix.
Anne-Laure Zwilling
- Janvier 2016 : abattage rituel
La volonté de prendre en compte les souffrances animales amène fréquemment la remise en cause de la pratique de l’abattage rituel, où l’égorgement s’effectue sans étourdissement préalable de l’animal ; plusieurs associations et mouvements militent contre cette pratique (voir par exemple www.abattagerituel.com/). Le 24 novembre, le président du Conseil de l’ordre des vétérinaires avait affirmé lors d’un colloque tenu au Sénat que « tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace, préalablement à la saignée et jusqu’à la fin de celle-ci », suscitant l’indignation de Haïm Korsia, Grand rabbin de France.
Le ministère de l’Agriculture, dans sa réponse du 5 janvier à une question écrite parlementaire du député socialiste Hervé Féron (Question n° 90855) remettant en question les dérogations à l’obligation d’étourdissement des animaux, a rappelé que l’abattage rituel, réalisé sans étourdissement préalable de l’animal, « relevant du libre exercice du culte », est encadré par le droit français et européen et que cette dérogation au droit « ne porte pas atteinte au principe de laïcité » (sur le cadre juridique de l’abattage rituel, voir dans le chapitre statut juridique des religions, les autres dispositions spécifiques).
Signe que la question reste d’actualité, un groupe de travail sur l’abattage rituel en France a été mis en place. Il est animé par le Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur et avait été prévu depuis la première rencontre de l’instance de dialogue avec le culte musulman, le 15 juin 2015. Il compte publier en mars un guide pratique sur le sujet.
Les pratiquants affirment la nécessité de ce mode d’abattage au nom de leurs prescriptions religieuses ; entre partisans de la liberté religieuse qui estiment nécessaire que ce mode d’abattage existe, et partisans de la protection des animaux qui jugent que cela fait souffrir inutilement les animaux abattus, le débat reste vif.
Anne-Laure Zwilling
- Septembre 2015 : menus de substitution vs menus végétariens dans les cantines scolaires
Le 14 septembre dernier, la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a indiqué qu’elle ne souhaitait pas imposer le menu végétarien dans les cantines, le menu de substitution permettant de satisfaire toutes les demandes depuis de nombreuses années. La ministre prend ainsi position dans un débat qui réapparaît de temps en temps mais qui dure déjà depuis plusieurs années.
En France, ce sont les communes qui dirigent la gestion des cantines scolaires pour le premier cycle de l’éducation (écoles primaires). En 2013 déjà, Didier Doucet, maire de Lagny-le-Sec, avait refusé la diversité de menu dans les cantines scolaires. Il avait été notamment suivi en 2014 par Marcel Morteau, maire de Sargé-lès-le-Mans (concernant ce dernier cas, l’Observatoire de la laïcité avait rappelé, dans un avis rendu public le 10 décembre 2014, que « la laïcité ne saurait être invoquée pour refuser la diversité de menus »).
En mars dernier, Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône et coprésident du groupe de travail « laïcité » au sein de l’Association des maires de France (AMF), a décidé de mettre fin aux menus de substitution au porc dans les cantines scolaires de sa ville. La Ligue de défense judiciaire des musulmans a saisi en référé le tribunal administratif de Dijon contre cette décision. Gilles Platret a expliqué sa position par le principe de neutralité et d’égalité de traitement devant le service public (voir Le Figaro).
Le 13 août 2015, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ce recours pour « défaut d’urgence » : il a considéré que, dans la mesure où aucun repas contenant du porc ne serait servi avant le 15 octobre, « l’accès aux services de restauration scolaire de l’ensemble des usagers, y compris les enfants de confession musulmane, ne paraît pas compromis ».
L’association musulmane a simultanément engagé une procédure au fond qui ne sera examinée que dans plusieurs mois, mais elle a averti qu’il y aurait une poursuite de procédure si la décision de Gilles Platret devait être entérinée par le conseil municipal le 29 septembre prochain.
Le 14 août 2015, Yves Jégo, député UDI (Union des Démocrates et Indépendants) et maire de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), a annoncé qu’il allait déposer une proposition de loi pour rendre obligatoire un repas végétarien dans les cantines scolaires. Il a lancé une pétition en ligne qui a obtenu plus de 129 000 soutiens en 4 semaines. Certaines villes proposent déjà ce type de menu depuis quelques temps, Perpignan (en juin 2015) ainsi que Pau et Toulouse (en septembre 2015) ont suivi plus récemment.
Signe de la double dimension religieuse et politique de cette question, en mars 2015, plusieurs intellectuels, dont le moine bouddhiste Matthieu Ricard, avaient signé une tribune dans le journal Le Monde « Le menu végétarien, le plus laïc de tous », expliquant que leur proposition était d’abord pragmatique et que le repas végétarien était celui qui convenait au plus grand nombre. La récente déclaration de la ministre montre cependant qu’elle ne soutient pas cette proposition.
Catherine Zimmerlin
- Juin 2015 : parents accompagnateurs de sorties scolaires et signes religieux
Le tribunal administratif de Nice, dans un jugement du 9 juin 2015 a apporté un nouvel élément au débat sur le statut juridique des parents d’élèves souhaitant accompagner les sorties scolaires en portant le voile islamique. Il avait été soutenu jusqu’à présent que les parents étaient dans ces circonstances soumis à l’obligation de neutralité religieuse du service public et ne pouvaient en conséquence arborer un signe religieux. Cette position avait été celle du tribunal administratif de Montreuil dans un jugement du 22 novembre 2011, selon lequel le règlement intérieur contesté constituait « une application du principe constitutionnel de neutralité du service public à l’accompagnement des sorties scolaires par les parents d’élèves, qui participent en tant qu’accompagnateurs au service public de l’école élémentaire ».
Adoptant une position plus libérale, le tribunal niçois a au contraire jugé que « les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l’éducation » et que « les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service. » Or, en l’espèce, aucun de ces motifs n’avaient été opposés à la requérante. Ce jugement fait écho à l’avis du Conseil d’État de décembre 2013. Le Conseil d’État avait été saisi pour avis par le Défenseur des droits précisément afin de savoir si les mères accompagnatrices de sorties scolaires peuvent porter des signes extérieurs religieux. Le Conseil avait à cette occasion clairement réaffirmé qu’« il n’existe pas de catégorie juridique pertinente entre l’agent et l’usager » (p. 29) et qui serait alors soumise à l’obligation de neutralité religieuse. Seules « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » (p. 34).
Anne Fornerod
- 22 juillet 2014 : annulation d’une injonction de servir des repas halal en prison
Par un arrêt du 22 juillet 2014, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 novembre 2013 qui enjoignait à la prison de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) de proposer des repas halal aux détenus musulmans (voir le « débat actuel » de mars 2014 ci-dessous).
La cour a estimé que les différents menus proposés permettent aux détenus de ne pas se voir imposer l’obligation de consommer des aliments prohibés par les préceptes de la religion, que les détenus peuvent par ailleurs demander la fourniture de menus adaptés à l’occasion des fêtes religieuses et ont la possibilité d’acheter de la viande hallal par l’intermédiaire de la « cantine », et donc qu’un juste équilibre est ménagé entre les nécessités du service public et les droits des personnes détenues en matière religieuse.
Pour en savoir plus, voir le communiqué de presse de la CAA de Lyon
- 1er juillet 2014 : la Cour européenne des droits de l’homme rend l’arrêt S.A.S. c. France
Le 1er juillet 2014, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur l’affaire SAS c. France. La requérante soutenait que la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public portait atteinte à son droit à la vie privée (article 8 de la Convention européenne) et, essentiellement, à sa liberté de religion (article 9). Enfin, elle arguait du fait que cette loi était discriminatoire comme visant les femmes musulmanes. La Cour conclut à la non-violation de l’article 9 relatif à la liberté de religion et donne ainsi quitus à la loi, mais en émettant de nombreuses et sérieuses réserves à son encontre.
Suivant le raisonnement classique de la Cour, l’examen porte successivement sur l’existence d’une ingérence dans la liberté de religion invoquée en l’espèce, sur l’existence du ou des buts légitimes poursuivis par la restriction apportée à cette liberté et, enfin, sur le rapport de proportionnalité entre le but poursuivi et l’interdiction ou la restriction.
En premier lieu, l’existence d’une ingérence n’est pas contestée en l’espèce. En deuxième lieu, la Cour concède que le législateur français poursuivait bien le but légitime de « répondre à des questions de ‘sûreté publique’ ou de ‘sécurité publique’ », bien que l’on puisse « se demander si le législateur a accordé un poids significatif à de telles préoccupations ». Quant au second but légitime, le gouvernement français avait défendu qu’il s’agissait du « respect du socle minimal des valeurs d’une société démocratique et ouvert », socle qui renvoyait à trois valeurs : « le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité des personnes et le respect des exigences minimales de la vie en société ». Après avoir rappelé que seuls les buts expressément énoncés par la Convention peuvent être pris en considération, les juges de Strasbourg ont décidé d’examiner ce second but sous l’angle de la protection des droits et libertés d’autrui.
Concernant le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, la Cour juge qu’il ne saurait être invoqué « pour interdire une pratique que des femmes – telle la requérante – revendiquent dans le cadre de l’exercice des droits » consacrés par la Convention. Elle ne retient pas non plus le respect de la dignité des personnes, mais, en revanche, rattache la volonté du législateur de préserver le « vivre-ensemble » au but légitime de protection des droits et libertés d’autrui. Pour autant, « la flexibilité de la notion de ‘vivre ensemble’ et le risque d’excès qui en découle commandent que la Cour procède » à un contrôle de proportionnalité approfondi.
Dans le cadre de ce contrôle de proportionnalité, la Cour vérifie si l’ingérence dans la liberté de religion est nécessaire dans une société démocratique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
En l’espèce, l’interdiction générale de dissimuler son visage dans l’espace public, « vu son impact sur les droits des femmes qui souhaitent porter le voile intégral pour des raisons religieuses », est jugée disproportionnée au regard de l’objectif de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens. Aussi la Cour considère-t-elle que « l’interdiction litigieuse peut être considérée comme justifiée dans son principe dans la seule mesure où elle vise à garantir les conditions du ‘vivre ensemble’. L’interdiction litigieuse passe toutefois in extremis l’examen de la proportionnalité de l’interdiction par rapport à ce but légitime. En effet, la Cour souligne la disproportion entre le faible nombre de femmes concernées et le recours à une loi d’interdiction générale, ainsi que le « fort impact négatif sur la situation des femmes qui, telle la requérante, ont fait le choix de porter le voile intégral pour des raisons tenant à leurs convictions ». Par ailleurs, elle se dit « très préoccupée » par les propos islamophobes qui ont accompagné le processus législatif et « rappelle que des propos constitutifs d’une attaque générale et véhémente contre un groupe identifié par une religion ou des origines ethniques sont incompatibles avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendent la Convention ».
En revanche, les juges strasbourgeois estiment que l’interdiction vise non pas la signification religieuse du voile, mais le seul fait qu’il dissimule le visage, ce qui distingue cette affaire du cas Ahmet Arslan et autres contre Turquie, qui portait sur une interdiction de tenue religieuse dans l’espace public. Est également mise en avant la légèreté des sanctions encourues. Enfin, et surtout, la Cour s’en remet à l’ample marge d’appréciation dont disposait la France en l’espèce, sachant que « la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public constitue un choix de société », que sont en jeu des « questions de politique générale » et que la loi du 11 octobre 2010 est le fruit d’un « arbitrage effectué selon les modalités démocratiques au sein de la société en cause ». La Cour conclut donc, par quinze voix contre deux, à l’absence de violation de la liberté de religion de la requérante, l’arrêt étant assorti de l’opinion dissidente de deux juges.
Anne Fornerod
- 25 juin 2014 : La Cour de cassation confirme le licenciement de la salariée de la crèche Baby Loup
Par un arrêt du 25 juin 2014, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venue mettre un terme à l’affaire « Baby Loup » devant la justice française, en rejetant le pourvoi de la salariée de la crèche contre l’arrêt du 27 novembre 2013 de la cour d’appel de Paris (voir Débats actuels 2013). La Cour de cassation confirme que son licenciement par son employeur à la suite de son refus d’ôter son voile était justifié, approuvant le jugement de la cour d’appel selon lequel la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée dans le règlement intérieur de la crèche ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. La Cour précise que le principe de laïcité n’est pas pour autant applicable aux salariés des entreprises privées qui ne gèrent pas un service public. Elle constate également que l’association Baby Loup ne peut être qualifiée d’entreprise de conviction, dès lors qu’elle n’a pas pour objet de promouvoir et défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques.
Pour en savoir plus :
– Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, L. c/ Assoc. Baby-Loup
- 24 juin 2014 : la CEDH suspend l’arrêt du Conseil d’Etat jugeant légale la décision médicale de mettre fin aux traitements de M. Vincent Lambert
Devenu tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation en 2008, M. Vincent Lambert est depuis lors alimenté et hydraté de façon artificielle et entièrement dépendant.
À l’issue de la procédure de consultation prévue par la loi Leonetti loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, le médecin en charge de M. Vincent Lambert décida le 11 janvier 2014 de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation du patient. Certains membres de la famille saisirent alors le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui, par un jugement du 16 janvier 2014, suspendit l’exécution de la décision du médecin.
Le 31 janvier 2014, l’épouse de Vincent Lambert et un de ses neveux interjetèrent appel de cette décision devant le Conseil d’État qui demanda qu’il soit procédé à une expertise médicale confiée à un collège de trois médecins. Le 24 juin 2014, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État jugea légale la décision prise par le médecin en charge de M. Vincent Lambert de mettre fin à son alimentation et à son hydratation artificielles, au vu notamment de l’expertise médicale qui a conclu à une dégradation de l’état de conscience de M. Lambert et en tenant compte de la volonté exprimée par celui-ci avant son accident de ne pas être maintenu artificiellement en vie s’il se trouvait dans un état de grande dépendance.
Dès le 23 juin 2014, les premiers requérants ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande de mesure provisoire. Le 24 juin 2014, la chambre à qui l’affaire a été attribuée a décidé de faire suspendre l’exécution de l’arrêt rendu par le Conseil d’État pour la durée de la procédure devant la Cour à qui il revient désormais d’examiner la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Sources : communiqué de presse du Conseil d’Etat du 24 juin 2014 et communiqué de presse de la Cour européenne des droits de l’homme du 25 juin 2014.
Lire aussi l’article de Lucie Guichon « Fin de vie, soins palliatifs et euthanasie : les réactions des organisations religieuses à l’affaire Vincent Lambert » (pdf)
- 4 juin 2014 : le Conseil français du culte musulman rappelle des principes fondamentaux
Le 4 juin 2014, le CFCM a décidé de rendre publique une « Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre ensemble ». Cette publication intervient dans une actualité mouvementée qui voit resurgir le thème du radicalisme religieux. Le CFCM s’attache ici à évoquer les fondamentaux de l’islam, en 19 points, en soulignant leur adéquation à la laïcité et à la société française.
- Mars 2014 : un centre pénitentiaire obligé de servir des repas halal aux détenus musulmans
Le 20 mars 2014, la cour administrative d’appel de Lyon a refusé de suspendre l’exécution d’un jugement du tribunal administratif de Grenoble qui, le 7 novembre 2013, avait obligé l’administration pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) à servir régulièrement des repas halal aux détenus musulmans au nom de la liberté d’exercer sa religion. Cette décision devait être exécutée dans un délai de trois mois, expiré depuis le 7 février dernier.
Le ministère de la Justice avait alors fait appel et demandé le sursis à exécution du jugement en avançant une « désorganisation du service pénitentiaire », la certification délicate des produits halal ainsi que le fait que la liberté religieuse était déjà respectée puisque des menus végétariens ou sans porc étaient proposés. Le jugement du 20 mars a avancé qu’il n’y avait "pas de surcoût prohibitif pour l’établissement" ni "de difficulté technique particulière". Des repas halal sont déjà servis aux détenus à l’occasion des grandes fêtes religieuses ; ils peuvent aussi acheter de la nourriture halal en cantine.
Pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, servir des repas confessionnels (halal ou casher) en prison ne contrevient pas au principe de laïcité (voir son rapport annuel 2013, chapitre 8 : « Retour sur la question de la laïcité dans les lieux privatifs de liberté »). Il précise qu’il est difficile de refuser cette liberté dans la mesure où « la loi de 1905 autorise des services d’aumônerie et des crédits affectés à des dépenses à but exclusivement religieux ». Pour lui, il n’existe pas de différence au regard du principe de laïcité entre ne pas servir de porc et servir de la nourriture répondant à des rites religieux.
Florence Nicoud, dans son commentaire* sur le jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble, pense le contraire. Elle affirme que le jugement, en rendant obligatoire la distribution de repas halal, fait une relecture du principe de laïcité tel que le comprend la loi de 1905 et remet en question la neutralité du service public quand il répond à des revendications qui semblent être d’ordre communautaire. Elle considère que ce jugement crée une situation difficile : tant que les autorités publiques ne se prononcent pas sur le sujet, les situations disparates se multiplieront. Elles pourront concerner d’autres services publics tels que les hôpitaux, les armées ou encore les cantines scolaires.
Un arrêt sur le fond devrait être rendu avant la fin de l’année.
* Florence Nicoud : « Laïcité et restauration collective : du nouveau dans les prisons, TA Grenoble, 7 nov. 2013, n° 13-02502 », JCPA, n° 15, 14 avril 2014.
Pour en savoir plus : Revue générale du droit, Le Monde, Le Figaro.
- 27 novembre 2013 : La cour d’appel de Paris se prononce dans l’affaire de la crèche Baby-Loup
Par un arrêt du 27 novembre 2013, la cour d’appel de Paris ajoute une nouvelle étape à ce qui est devenu « l’affaire Baby-Loup » et qui a pour origine le licenciement d’une femme portant le voile islamique par la crèche qui l’employait. À la discrimination au regard des convictions religieuses défendue par l’employée, la crèche opposait son règlement intérieur selon lequel « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ». Dans un arrêt du 19 mars 2013 (voir infra), la Cour de cassation avait considéré que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public », ce qui est le cas de la crèche Baby Loup, association de droit privé. À partir de là, les dispositions du code du travail s’appliquent qui prévoient que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » (Article L.1121-1). La clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup avait ainsi été jugée invalide et le licenciement de la salariée déclaré nul.
Or, la cour d’appel de Paris a confirmé la légalité du licenciement, en suivant un raisonnement différent. Elle a ainsi jugé que la crèche pouvait être considérée comme « une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », ce qui l’autoriserait à imposer l’obligation de neutralité à ses employés, à l’instar d’une entreprise de tendance – religieuse – qui peut exiger de ses salariés l’adhésion à une ligne de pensée définie par une doctrine religieuse. Cette notion d’entreprise de tendance, absente du code du travail, est cependant définie en droit de l’Union européenne (directive 2000/78 du 27 novembre 2000, qui reconnaît à ces entreprises le « droit de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation ») et par la jurisprudence française. En l’espèce, cette exigence de neutralité religieuse serait requise afin de « respecter et protéger la conscience en éveil des enfants ». C’est ainsi une autre approche de la laïcité qui est mise en avant, la faisant passer d’un principe juridique qui s’impose aux pouvoirs publics dans leurs relations avec les institutions et activités religieuses, à une « conviction ».
Pour en savoir plus :
– CA Paris, 27 nov. 2013, Madame Fatima L. / Association Baby Loup
- 16 octobre 2013 : des aumôniers des Témoins de Jehovah doivent être agréés pour les prisons
Le Conseil d’Etat a été saisi en cassation de plusieurs litiges relatifs à des refus d’agrément en qualité d’aumônier des établissements pénitentiaires de représentants du culte des témoins de Jéhovah. L’administration pénitentiaire fondait ces refus par l’insuffisance du nombre de détenus se revendiquant de cette confession. Les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel saisis avaient censuré ce raisonnement (voir notamment Débats actuels, 30 mai 2011).
Le Conseil d’Etat a confirmé la solution retenue par les juges du fond. Il a en effet rappelé que la liberté d’opinion, de conscience et de religion des personnes détenues est garantie et que ces dernières « peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l’établissement ». Il résulte des dispositions du Code de procédure pénale que l’administration pénitentiaire doit, « dans la mesure où les locaux le permettent et dans les seules limites du bon ordre et de la sécurité, permettre l’organisation du culte dans les établissements ; que la seule facilitation des visites de droit commun de représentants du culte ne saurait satisfaire à ces obligations ; que le paragraphe 2 de la règle pénitentiaire européenne n° 29, dont se prévaut le ministre et qui est, au demeurant, dénuée de portée normative, recommande simplement de proportionner le nombre d’aumôniers agréés au nombre de pratiquants mais n’a ni pour objet ni pour effet de permettre de fonder un refus d’agrément sur le faible nombre de pratiquants ».
Le Conseil d’Etat a également précisé que rien ne s’oppose à la désignation comme aumônier d’une personne qui accepte d’exercer une telle activité à titre bénévole.
Pour en savoir plus :
– CE, 16 oct. 2013, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés c/ m. n…et autres
- 15 octobre 2013 : l’Observatoire de la laïcité adopte deux avis relatifs à l’application du principe de laïcité
Le premier avis adopté par l’Observatoire fait suite aux débats suscités par l’arrêt Baby Loup rendu le 19 mars 2013 par la Cour de cassation (voir l’article ci-dessous) et porte sur « la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants »
L’Observatoire de la laïcité note que l’extension du principe de neutralité en dehors de la sphère publique et du service public et de ses délégataires risquerait de contrevenir à un droit fondamental et de faire ainsi l’objet d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme, voire d’une censure du Conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté de religion de personnes privées dans une activité privée. Justifier cette extension du principe de neutralité aux structures d’accueil des enfants au motif de la « vulnérabilité » de ceux-ci se heurte par ailleurs à la difficulté, voire à l’impossibilité, de définir précisément cette notion. L’Observatoire rappelle également que « la laïcité n’est pas une opinion ni une croyance mais une valeur commune » et que la notion d’ « entreprise de tendance laïque » ne saurait donc être utilisée.
L’Observatoire propose à la crèche Baby Loup de « modifier son règlement intérieur afin de préciser les moyens de répondre aux objectifs qu’elle s’est assignée d’égalité de tous les enfants et de tous les parents et de refus de toute distinction, qu’elle soit politique ou confessionnelle, en édictant des restrictions à la liberté d’expression religieuse qui soient justifiées par des objectifs propres à son activité et proportionnées à ces objectifs ». Elle pourrait également opter pour un régime de délégation de service public qui impliquerait l’application à ses agents du principe de neutralité du service public.
Plus généralement, l’Observatoire recommande au Gouvernement d’une part d’édicter une circulaire interministérielle pour rappeler le droit en vigueur en la matière et, d’autre part, de renouveler la diffusion au sein de l’ensemble des administrations publiques de la Charte de la laïcité dans les services publics publiée initialement le 13 avril 2007.
Dans son deuxième avis, l’Observatoire de la laïcité énonce un « rappel à la loi » concernant le contenu et les contours du principe de laïcité : la responsabilité de la puissance publique dans la promotion et l’application de ce principe, ce que garantit et ce qu’interdit la laïcité.
Pour en savoir plus :
– Avis de l’Observatoire de la laïcité sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants
– Rappel à la loi à propos de la laïcité et du fait religieux.
- 9 septembre 2013 : présentation de la Charte de la laïcité à l’École
Le 9 septembre 2013, le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, a présenté la « Charte de la laïcité à l’École » qui devra désormais être affichée de manière visible dans tous les établissements scolaires publics des premier et second degrés. Composée de 15 articles, la charte rappelle les principes fondamentaux de la République et dessine les contours de la laïcité à l’école. Sont notamment mentionnés le caractère laïque des enseignements ouverts à tout questionnement scientifique, la stricte neutralité des personnels, l’interdiction du port de signes religieux, la liberté d’expression des élèves et le rejet de toute discrimination. Cette charte doit être portée dans les meilleurs délais à la connaissance des élèves et de l’ensemble de la communauté éducative et jointe, dans la mesure du possible, au règlement intérieur de chaque école.
A cette occasion, le ministre souhaite que soit également affichée à l’intérieur des locaux la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que soient apposés sur la façade des établissements la devise de la République « Liberté, égalité, fraternité » ainsi que les drapeaux tricolore et européen, en application de l’article L.111-1-1 du Code de l’éducation crée par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013.
Cette loi a également ajouté au 2e alinéa de l’article L.111-1 du Code de l’éducation une phrase énonçant que « Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité ».
Pour en savoir plus : consulter la Charte de la laïcité à l’École sur le site du Ministère de l’Éducation nationale.
- 19 mars 2013 : Port du voile et principe de laïcité
La chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les contours du principe de laïcité, à l’occasion de deux affaires de licenciement d’une salariée au motif qu’elle portait un voile islamique.
Dans la première affaire concernant une caisse primaire d’assurance maladie, la Cour de cassation juge, pour la première fois, que les principes de neutralité et de laïcité sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé comme dans le cas d’espèce. Les employés participent ici à une mission de service public et ne peuvent donc manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Le licenciement de la salariée est dès lors déclaré fondé.
En revanche, dans la deuxième affaire concernant la crèche Baby Loup, il s’agit d’une association privée qui ne peut être considérée comme gérant un service public. La Cour de cassation rappelle que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est donc pas applicable aux employés de cette crèche. Ce principe ne peut dès lors être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail. Celles-ci prévoient notamment que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché. La clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup est ainsi jugée invalide et le licenciement de la salariée déclaré nul.
Cette dernière décision a suscité de nombreuses réactions parmi les acteurs politiques ; la porte-parole du gouvernement a notamment déclaré que le principe de laïcité « ne doit pas s’arrêter à la porte des crèches » et que le gouvernement n’excluait pas de légiférer à ce sujet.
Pour en savoir plus :
– Cass. soc., 19 mars 2013, n°11-28.845, Baby Loup
– Cass. soc., 19 mars 2013, n°12-11.690, Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis
- 5 mars 2013 : Voile intégral et interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public
La chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois, dans deux espèces, sur la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
Dans les deux cas, il s’agissait d’une femme arborant un voile intégral. Le premier arrêt (n°12-82.852), très succinct, censure une interprétation erronée, par le juge de première instance, de la notion d’espace public telle qu’elle résulte de la loi. En effet, les premiers juges avait prononcé la relaxe de la personne au motif qu’elle avait été contrôlée à l’extérieur du commissariat et que « ce n’est qu’à l’initiative des fonctionnaires de police qu’elle est entrée dans cet établissement public, revêtue de son voile ». Or, rappelle la Cour de cassation, le port du voile intégral est tout aussi répréhensible sur la voie publique.
Le principal intérêt du second arrêt (n°12-80.891) vient de ce qu’il se prononce sur la compatibilité de la loi de 2010 avec la Convention européenne des droits de l’homme et particulièrement l’article 9 relatif à la liberté de religion. Il s’agissait cette fois d’une femme qui, le visage dissimulé par un voile, avait été interpellée « à proximité du palais de l’Élysée, où elle s’était rendue en compagnie d’autres personnes portant des masques, et de journalistes ». La Cour de cassation s’appuie sur l’article 9 alinéa 2 qui autorise les États à apporter des restrictions aux droits et libertés protégés par la Convention pour des raisons tenant à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques par exemple. Or, selon la Haute juridiction, « tel est le cas de la loi interdisant la dissimulation intégrale du visage dans l’espace public en ce qu’elle vise à protéger l’ordre et la sécurité publics en imposant à toute personne circulant dans un espace public, de montrer son visage ».
Il est à noter que la Cour de cassation se réfère dans cet arrêt aux composantes classiques de l’ordre public matériel que sont la sécurité et l’ordre public, alors que les débats qui avaient précédé l’adoption de la loi du 11 octobre 2010 avaient notamment porté sur la notion d’ordre public immatériel, présente dans le rapport du Conseil d’État rendu en mars 2010 et dans la décision du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010 (n°2010-613 DC), et qui renvoyait à un socle minimal d’exigences de la vie en société.
Pour en savoir plus :
– Cass. crim., 5 mars 2013, n°12-82.852
– Cass. crim., 5 mars 2013, n°12-80.891
- 21 février 2013 : Le droit des cultes en Alsace-Moselle est conforté par le Conseil constitutionnel
Une association laïque « APPEL » (Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité) a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de la rémunération des pasteurs en Alsace-Moselle en estimant qu‘elle était contraire au principe constitutionnel de laïcité. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé en reconnaissant que l’Etat français pouvait continuer de rémunérer les ministres du culte : les rédacteurs des constitutions de 1946 et 1958 n’ayant pas remis en cause les dispositions relatives aux cultes applicables dans ces départements, celles-ci sont conformes à la Constitution. « L’exception concordataire » est en la matière maintenue et renforcée.
Pour en savoir plus, voir La Croix.
- 31 mai 2011 : Vote d’une résolution parlementaire sur les principes de laïcité et de liberté religieuse
Le débat sur la laïcité et l’islam lancé par l’UMP (parti de la majorité présidentielle) s’achève par l’adoption d’une résolution votée par l’Assemblée nationale le 31 mai, texte d’intention juridiquement non contraignant visant à réaffirmer "l’attachement au respect des principes de laïcité et de liberté religieuse". Le texte a été voté par les seuls députés de la majorité, les députés de l’opposition en contestant plusieurs points.
Cette résolution prévoit l’élaboration d’un code de la laïcité et de la liberté religieuse, recueil de tous les textes juridiques applicables qui sera établi par le gouvernement. Elle souhaite par ailleurs que le principe de laïcité soit étendu à l’ensemble des structures privées des secteurs social, médico-social ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général, ainsi qu’à l’ensemble des personnes collaborant à un service public. Dans ce dernier cas sont visées principalement les mères voilées qui accompagnent les sorties scolaires, et un groupe interministériel devra prochainement faire des propositions en la matière. Elle exprime également le souhait qu’une certaine neutralité en matière religieuse puisse être imposée dans les entreprises privées.
- 5 avril 2011 : Convention de l’UMP sur la laïcité
Après plusieurs semaines de polémiques, l’UMP, parti de la majorité présidentielle, a renoncé à l’organisation d’un vaste débat national et a tenu le 5 avril 2011 une simple convention sur "la laïcité pour mieux vivre ensemble" afin d’aborder notamment la question de l’islam et de sa compatibilité avec les lois de la République.
Les représentants des six grandes religions (catholique, orthodoxe, musulmane, protestante, juive, bouddhiste) réunis au sein de la Conférence des responsables de culte en France (CRCF) avaient exprimé dans une tribune publique leurs réserves sur l’opportunité d’un tel débat et les "confusions préjudiciables" entre agenda politique et rendez-vous électoraux qu’il pouvait susciter (les prochaines élections présidentielles sont prévues en 2012).
A l’issue de sa convention, l’UMP a présenté "26 propositions pour mieux vivre ensemble" parmi lesquelles on peut noter notamment la création d’un "Code de la laïcité et de la liberté religieuse" rassemblant l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires et des jurisprudences relatives au principe de laïcité ; la volonté d’étendre les exigences de neutralité et de laïcité aux structures privées sociales ou médico-sociales, ainsi qu’aux collaborateurs occasionnels du service public ; ou encore l’encouragement à développer la création de carrés confessionnels dans les cimetières.
- Mai 2007 : La HALDE rappelle les conditions d’application du principe de laïcité
Xavier Darcos, Ministre de l’éducation, a rappelé que "le choix des parents, auxquels il est proposé d’accompagner les sorties scolaires, doit se faire sans aucune discrimination."
Cette déclaration intervient après une délibération du 15 mai 2007 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) estimant que "le refus de principe opposé aux mères d’élèves portant le foulard" de participer à des sorties scolaires est "contraire aux dispositions interdisant les discriminations fondées sur la religion."
La HALDE rappelle que la loi du 15 mars 2004 relative au port de signes religieux à l’école ne concerne pas les parents d’élèves et que "la liberté religieuse ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles prévues par la loi…" selon l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Anne Fornerod Anne-Laure Zwilling Catherine Zimmerlin Lauren Bakir
3 mai 2021