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Italie

  • Avril 2017 : bénédiction de Pâques dans les écoles publiques en Italie

Les bénédictions religieuses sont autorisées dans les écoles publiques, comme l’a établi la décision du Conseil d’État italien annulant la décision du tribunal administratif régional d’Émilie-Romagne. Un an plus tôt, ce tribunal avait suspendu la décision des 16 membres du conseil d’administration de l’école primaire Giosuè Carducci de Bologne, qui avaient accepté qu’un prêtre catholique romain accorde la bénédiction de Pâques dans cette école publique.
D’un avis général, le Conseil d’État a souligné que la bénédiction ne peut en aucun cas affecter le déroulement de l’enseignement public et de la vie scolaire. Dans le cas de l’école primaire Carducci, le rituel religieux sort du cadre des activités officielles, de sorte que la bénédiction ne peut porter atteinte, de manière directe ou indirecte, à la liberté religieuse de ceux qui, tout en faisant partie de la même communauté scolaire, n’ont aucun lien avec le catholicisme : s’ils craignent d’être lésés par ces rituels religieux, ils peuvent choisir de ne pas y assister.
En outre, le Conseil d’État affirme que la bénédiction n’entre pas en contradiction avec le principe suprême de laïcité (principi supremo di laicità). Comme l’a déclaré la Cour constitutionnelle italienne dans une décision historique de 1989 (n° 203), ce principe ne signifie pas l’indifférence à l’égard des religions, mais l’équidistance et l’impartialité envers les différentes confessions religieuses. En d’autres termes, le principe suprême de laïcité se fonde sur l’attitude positive de l’État à l’égard de toutes les communautés religieuses. Or, c’est là que le bât blesse, comme l’ont souligné les membres de la communauté éducative en désaccord avec la décision du Conseil d’État : en interprétant le principe suprême de laïcité de cette manière, tous les rites religieux devraient être autorisés à se dérouler dans l’enceinte de l’école. Ce principe suprême implique également l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les croyances.
Cet exemple montre que la bénédiction à l’école s’inscrit dans un débat permanent en Italie, qui cherche à savoir où se situe exactement la frontière entre l’Église et l’État. L’argument est que ces rituels, notamment la bénédiction, font partie de l’héritage culturel italien, ce qui est contesté par un groupe de parents et d’enseignants qui ont intenté une action en justice devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Notons qu’en 2011, la grande chambre de la CEDH a annulé une décision antérieure de la section II de la CEDH et a jugé que les écoles publiques italiennes pouvaient accrocher des crucifix, concluant qu’il s’agissait « d’un symbole passif sur le fond, dont l’influence sur les élèves n’est pas comparable à celle d’un discours didactique ou de la participation à des activités religieuses ».
Il importe donc peu de savoir ce que la CEDH décidera dans l’affaire de l’école primaire Giosuè Carducci, car à la lumière des considérations précédentes, nous sommes sûrs qu’à nouveau, la décision aura des conséquences.

Reference : N. Colaianni, "Laicità : finitezza degli ordini e governo delle differenze", in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n° 39, 2013.

Francesco Alicino

Automne 2009 : L’enseignement de la religion islamique à l’école : une proposition qui fait débat

L’islam en Italie fait toujours débat, notamment à cause du peu de connaissance que l’opinion publique et les politiciens ont de la religion et du monde musulman. La proposition du vice-ministre du Développement économique, A. Urso, d’enseigner l’islam à l’école, avec une heure d’enseignement facultative et alternative à l’enseignement (lui aussi facultatif) de la religion catholique, a provoqué un débat qui alimente tout particulièrement les divisions actuelles de la droite.
Le vice-ministre Urso, membre du parti de droite Alleanza Nazionale, a suscité avec cette proposition une réflexion qui est nécessaire en Italie ; elle reste pour l’instant malheureusement limitée aux groupes politiques. Le parti xénophobe de la Ligue du Nord se dit opposé à l’enseignement de l’islam en évoquant la "sauvegarde" des racines chrétiennes de l’Italie (bien que les rapports entre Ligue et Vatican soient tendus). Le ministre de l’Intérieur Maroni (Ligue du Nord), affirme que, au contraire du catholicisme qui est une religion unitaire avec une hiérarchie claire dirigée par le pape, en islam on peut tout dire car "l’imam interprète le Coran librement, il n’y a pas une série de dogmes, il n’y a pas un message clair à transmettre". Au-delà des compétences douteuses de certains ministres italiens en matière religieuse, la proposition agite les esprits du PDL de Berlusconi.
Le débat ne devrait pourtant pas se limiter à l’affrontement politique, car il pourrait être l’occasion de réfléchir sur les contenus et les solutions complexes à une telle question. La comparaison avec les solutions adoptées en la matière dans les autres pays de l’UE est certes nécessaire, car la pluralité des alternatives montre aussi la complexité de ce type d’enseignement (cf. l’article d’A. Pisci, L’islam tra i banchi di scuola). Le ministre des Politiques européennes Ronchi propose une heure d’enseignement d’histoire des religions (qui reste facultative). Pour beaucoup, musulmans compris, il faudrait chercher des enseignants italiens ou formés en Italie qui soient en mesure de garantir un enseignement "correct".
Or, les enjeux qui se dégagent concernant l’enseignement d’une religion autre que catholique, et notamment de l’islam, sont nombreux. La question des programmes à adopter n’est pas la moindre, ensuite il faut répondre à une sorte d’inquiétude citoyenne à propos des musulmans, qui va de pair – selon le gouvernement actuel - avec la nécessité de contrôler le territoire et ses habitants étrangers. De plus, la CEI, Conférence épiscopale italienne, est opposée à cette proposition, comme d’autres personnalités du Vatican – bien que les positions varient aussi dans le monde catholique.
La réflexion se porte sur le plan pédagogique et juridique d’abord, notamment en relation avec la question des libertés des femmes, du port du voile à l’école, etc. Mais quand on parle d’islam, la tentation est surtout forte de parler de terrorisme, et l’occasion n’a pas échappé à la Ligue du Nord, suite à un attentat où un citoyen libyen a essayé de se faire exploser devant une caserne le 12 octobre 2009 à Milan. Une motivation terroriste islamique a évidemment été évoquée par les politiciens de droite, ce qui leur a suffi pour remettre en cause le droit à la citoyenneté mais aussi la signification du mot intégration, dont on abuse trop souvent. L’acte commis semble pourtant à mettre en lien avec la situation sociale et économique difficile de son auteur, plutôt qu’avec des organisations musulmanes ou terroristes. Mais peu importe, le glissement fait de l’éducation à l’extrémisme religieux est fréquent. En lisant, les journaux italiens (pas seulement ceux-là, d’ailleurs), on s’aperçoit immédiatement de la différence de vision sur ces faits entre la gauche et la droite. Le quotidien berlusconien Il Giornale met en évidence l’opposition de la Ligue et de la CEI (article du 20 octobre 2009), et – mais cela est une habitude qui traverse les frontières politiques de notre presse – montre la photo d’une jeune fille voilée pour parler de l’enseignement de la religion islamique.
Internet nous livre ensuite un regard rapide mais ponctuel sur le débat en cours : l’attention se concentre davantage sur les Italiens et les politiciens italiens, et ensuite sur ce que les organisations musulmanes pensent à ce propos. Or, les musulmans sont très intéressés à débattre et réfléchir ensemble sur la solution à adopter ; ils ont accueilli favorablement l’ouverture initiée par la proposition du ministre Ronchi. Si pour eux le oui prévaut sur le non à l’enseignement, les méthodes seront à construire, et il faudra veiller à la sélection du personnel enseignant (origine, formation et orientations). En général, tous préfèrent que les enseignants soient formés en Italie, que les programmes correspondent aux indications ministérielles, qu’ils soient donnés en italien. Ils privilégient aussi les principes éthiques de solidarité, de paix, d’amour pour la création (selon Hamza Piccardo, président de l’UCOII). Pour les membres de la Coreis (Comunità religiosa islamica) les enseignants devraient être des citoyens italiens, musulmans, qualifiés, et l’enseignement doit avoir un caractère laïc, offrir des bases doctrinales, historiques et culturelles de l’islam et être donc destiné à tous les étudiants. D’autres, du côté musulman comme à gauche (PD), soulignent l’importance d’un enseignement d’histoire des religions afin que les enfants se connaissent mieux, tout en prônant de laisser à chaque communauté la tâche d’enseigner la religion à ses fidèles (Izzedin Elzir, imam de l’UCOII à Florence).
Il ne reste plus qu’à attendre la suite de ce débat sur le plan de l’éducation nationale et/ou locale, d’autant plus que les arguments "provocateurs" ne manquent pas des deux côtés et que les interlocuteurs musulmans sont presque toujours suspectés en raison de leur appartenance religieuse. Est-ce que la proposition de la ministre Mara Carfagna d’interdire le port du burqa et du niqab à l’école, bien qu’aucun incident n’ait eu lieu, sera accueillie comme un "signal important" pour faire évoluer un plus large débat sur l’islam ?
Est-ce que la scolarisation et l’instruction publique – pilier des démocraties modernes - seront finalement l’intérêt premier à défendre, contre toute instrumentalisation et opposition schématique de l’islam et l’Occident ?

Alessandra Marchi

D 27 mars 2015    AAlessandra Marchi AFrancesco Alicino

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