Islamophobie et controverses publiques impliquant des musulmans
L’augmentation de la population et de la présence publique des musulmans au Canada, conjuguée aux événements mondiaux, a entraîné une montée significative (et avérée) de l’islamophobie. Dans les années 2000, dans le sillage de ce climat de peur et de préjugés, les chercheurs se sont également intéressés aux conséquences du 11 septembre pour les musulmans canadiens. Ces recherches ont été particulièrement attentives aux expériences des femmes, liées à la signification des signes religieux et aux interprétations du droit musulman de la famille, y compris la signification du hijab et du "dévoilement", et du mariage (y compris le mahr, le mariage forcé, la polygamie et le divorce). Après les meurtres d’Aqsa Parvez en 2007 et des femmes de la famille Shafia en 2009, des chercheurs ont critiqué les caractérisations des "crimes d’honneur" dans les médias et les tribunaux canadiens. Aqsa Parvez a été retrouvée étranglée dans sa maison familiale et les sœurs Shafia ont été retrouvées dans une voiture immergée dans un canal. Dans les deux cas, des membres de la famille immédiate ont été accusés des meurtres. Le récit récurrent de la "femme musulmane en péril" a également inspiré un contre-discours universitaire qui étudie les militantes musulmanes et les universitaires qui ont écrit spécifiquement sur les droits (Saris et Seedat) et l’"autonomisation" (Bullock, Marcotte) des femmes musulmanes canadiennes.
Les femmes musulmanes canadiennes sont celles qui ont reçu le plus d’attention de la part des chercheurs et des législateurs, mais il est clair qu’un climat croissant de sécurisation a un impact considérable sur les hommes musulmans. Le cas du Canadien Omar Khadr (né en 1986), détenu au camp de Guantanamo Bay pendant dix ans, a fait l’objet d’une grande attention, notamment en ce qui concerne l’accord gouvernemental qu’il a obtenu en réponse aux tortures qu’il a subies. La plus grande opération antiterroriste à ce jour a eu lieu en 2006 (renforcée par la législation introduite après le 11 septembre). Les jeunes hommes qui ont été arrêtés ont été connus sous le nom des "18 de Toronto". D’autres études vont à l’encontre des représentations péjoratives courantes des jeunes hommes musulmans, comme Bullock et Nesbitt-Larking (2013), qui constatent qu’en dépit du racisme et des idées fausses sur les jeunes musulmans dans les médias et le discours public général, les 20 jeunes musulmans canadiens qu’ils ont interrogés ont fait preuve d’un fort engagement envers le Canada et sont très impliqués dans les processus politiques de l’Ontario. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) et à Montréal (Québec), Selby, Barras et Beaman (2018) montrent les multiples façons dont leurs interlocuteurs naviguent et négocient dans leur vie quotidienne. Cette approche consistant à se concentrer sur les expériences quotidiennes des musulmans est moins courante ; les chercheurs sur l’islam au Canada se sont concentrés sur les débats publics ou les décisions judiciaires qui divisent.
D’autres controverses publiques ont suivi le 11 septembre, à savoir les soi-disant tribunaux de la charia en Ontario et une charte municipale votée à l’unanimité en 2007 contre les pratiques culturelles dites barbares à Hérouxville, au Québec. Ces affaires - le "débat sur la charia" et la commission sur les "accommodements raisonnables" qui a suivi la controverse d’Hérouxville - ont donné lieu à des commissions, des rapports et des recommandations politiques officielles au Canada. Plusieurs gouvernements de la province de Québec ont cherché à sanctionner les signes religieux, y compris le projet de loi 94 de 2010 restreignant le port du voile intégral et la "Charte de la laïcité" proposée en 2013. En juin 2019, le parti de centre-droit Coalition Avenir Québec a adopté un projet de loi qui restreint les signes religieux ostensibles chez les fonctionnaires en position d’autorité et interdit l’administration ou l’utilisation des services gouvernementaux aux personnes qui se voilent le visage (c’est-à-dire les femmes qui portent le niqab). Enfin, deux décisions de la Cour suprême du Canada sur le niqab ont contribué à façonner les perceptions des musulmans au Canada : la décision de 2012 de la Cour suprême, qui fait jurisprudence, concernant le désir d’une femme de porter son niqab lorsqu’elle témoigne dans un procès pour agression sexuelle, et l’affaire de 2015 de Zunera Ishaq, qui a obtenu le droit de porter son niqab lors d’une cérémonie de serment de citoyenneté (pour plus d’informations, voir le "débat actuel de 2018").
Ces dernières années ont été marquées par une montée du racisme antimusulman individuel et institutionnel. Un certain nombre d’études menées par des organisations communautaires islamiques canadiennes ont également démontré l’existence d’une islamophobie importante après le 11 septembre. Les chercheurs soutiennent ce point depuis des décennies (Karim 2003 ; 2009 ; Zehiri 2009 ; Wong 2011 ; Zine 2012 ; Antonius 2013). Dans cette veine, Statistics Canada a constaté que les crimes haineux contre les musulmans ont plus que doublé entre 2012 et 2014 (Paperny 2016). Le massacre de six fidèles musulmans au Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier 2017 a provoqué une onde de choc dans tout le pays. En réaction à ce climat, la députée libérale Iqra Khalid a présenté une motion parlementaire non contraignante, la motion 103, qui appelait à la condamnation de l’islamophobie. Bien que la motion ait été adoptée en mars 2017, les débats parlementaires et publics se sont avérés véhéments.
Sources :
– Cet article s’appuie sur le chapitre deux de Beyond Accommodation : Everyday Narratives of Muslim Canadians (Selby, Barras and Beaman 2018).
– Sur l’islamophobie, voir Wilkins‐Laflamme, S. 2018. “Islamophobia in Canada : Measuring the Realities of Negative Attitudes Toward Muslims and Religious Discrimination”. Canadian Review of Sociology 55 : 86-110.
– Voir aussi la liste complète de références (en pdf).