L’islam en Italie
"Le retour de l’islam" est le titre d’un livre presque pionnier sur la diffusion de la religion islamique en Italie, publié en 1993 par S. Allievi et F. Dassetto (Il ritorno dell’islam, ed. Lavoro, Rome 1993). Le mot "retour" renvoie évidemment à la présence historique de l’islam dans la péninsule italienne, dès le VIIIè siècle. On sait bien que la Sicile a été musulmane pendant plusieurs siècles, et le sud de l’Italie en particulier a souvent été le théâtre d’occupations fréquentes et de razzias. On a connu les émirats de Bari et de Taranto à la fin du IXè siècle et plus tard (XVI-XVIIè siècles), avec l’expansion de l’Empire Ottoman, les contacts avec l’islam sont redevenus fréquents. Les aventures coloniales au XXè siècle ont rapproché – bon gré, mal gré - les populations de la Méditerranée. Aujourd’hui ce "passé islamique" a presque été oublié, ce qui avec la nouvelle – et certes différente - présence des musulmans en Italie, ré-ouvre la question de la connaissance de l’islam en Italie et par les italiens.
Il paraît difficile d’estimer exactement le nombre des musulmans présents en Italie, d’abord à cause de la complexité inhérente à la notion même de musulman, et de croyant tout court. Selon le dernier rapport de Caritas en 2005 concernant les migrants - qui élabore ses données sur la base des permis de séjour en vigueur à la fin 2003 - les immigrés musulmans seraient environ 730.000, c’est à dire 33% du total de la population étrangère. Si on y ajoute les mineurs et les permis non encore enregistrés, ainsi que les nouveaux arrivés et les nouveaux nés dans l’année, l’évaluation est alors de 919.492 musulmans au 31 décembre 2004.
Dans l’estimation de l’identité musulmane, la provenance nationale, voire géoculturelle, joue un rôle déterminant, mais elle n’est pas toujours exacte pour définir les musulmans, tant en termes quantitatifs que qualitatifs, si on pense par exemple que les Albanais sont considérés pour la plupart comme musulmans (ce qui ne paraît pas évident en regard de l’athéisme imposé par le régime communiste jusqu’aux années récentes).
Cette présence musulmane doit être lue en rapport avec les cycles migratoires qui, à partir des années 1950, ont intéressé l’Europe occidentale. Mais c’est seulement dans les années 1980 que l’Italie connaît un véritable phénomène migratoire, dont l’importance grandira durant les années 1990, après la chute des régimes communistes et les exodes massifs de l’Europe balkanique vers l’Italie.
Une particularité de la population immigrée en Italie est l’hétérogénéité des pays de provenance (et notamment des pays à majorité musulmane) : du Maroc à l’Albanie, du Sénégal à l’Egypte, du Bangladesh à l’Iran, de la Tunisie à la Chine... Cette tendance au pluralisme s’est maintenue au fil des années. Le seul continent africain illustre cette situation. Selon le dossier de Caritas, au début 2004 les Africains en situation régulière en Italie étaient 516.424 (données du Ministère de l’Intérieur), soit 23,5% du total des immigrés. La majorité d’entre eux (68,2%) vient de l’Afrique du Nord, avec en tête le Maroc (227.940), la Tunisie (60.572) et l’Algérie (16.835) qui constituent 59,1% des étrangers réguliers en Italie. La communauté égyptienne est la quatrième communauté avec 44.798 individus.
La communauté musulmane est composée d’hommes pour l’essentiel, même si on compte 96.000 femmes maghrébines.
Par l’analyse de ces données, il est intéressant de constater que plus d’un tiers des immigrés provient de plusieurs pays de tradition musulmane, ce qui se traduit dans un islam pluriel dans ses manifestations et appartenances : nationales, ethniques, culturelles, idéologiques, individuelles.
Même si le processus de visibilisation de l’islam dans l’espace public a été plus long que dans d’autres pays européens, la stabilisation plutôt rapide des communautés étrangères a donné lieu, dans une période de temps assez brève, à des formes diversifiées d’appartenance collective à la foi islamique.
Les sujets et les modalités d’action ont été et sont encore multiples : on va de l’"islam des Etats" (avec des initiatives de la part des Etats "musulmans", ou qui se réclament de l’islam officiel des pays d’origine), à l’islam soufi, normalement organisé en confréries, en passant par l’action des mouvements d’origine religieuse, idéologique ou politique. Dès les années 1990 l’Italie a donc vu se multiplier le nombre des associations et des lieux de prière islamiques, ce qui témoigne d’une forte volonté d’organisation de groupes divers et dans des formes souvent indépendantes.
Les organisations les plus connues et actives sur le territoire national sont l’UCOII, Unione delle comunità islamiche d’Italia, censée représenter la plupart des mosquées en Italie et souvent étiquetée de fondamentaliste, et le Centre culturel islamique d’Italie, qui est lié à la grande mosquée de Rome, gérée par les diplomates de plusieurs pays musulmans. La COREIS, Comunità Religiosa Islamica, est une association composées de musulmans italiens très active dans la promotion de la connaissance de l’islam, mais qui n’est pas souvent reconnue comme étant représentative des musulmans immigrés. Les organisations citées ont proposé un projet d’accord avec l’Etat italien pour que l’islam devienne une religion officielle, mais sa reconnaissance est au cœur d’un débat complexe depuis des années.
Le soufisme confrérique est une forme d’adhésion à l’islam peu connue et sans doute peu visible, même si les confréries musulmanes traditionnelles sont présentes dans plusieurs régions italiennes. Mais le nombre de disciples soufis est encore assez réduit.
On peut facilement supposer que tous ces niveaux d’appartenance coïncident ou se croisent souvent et particulièrement chez les musulmans immigrés qui sont souvent obligés de les re-négocier selon des logiques et à des conditions différentes et nouvelles.
Les dizaines de mosquées et de salles de prière qu’on compte en Italie sont parfois créées grâce à des initiatives spontanées et sont relativement autonomes, leur fréquentation est cependant en général étroitement liée aux pays d’origine, car les liens nationaux et/ou culturels demeurent très forts et constituent un facteur de regroupement majeur.
Les salles de prière et les mosquées ne sont pas encore suffisantes par rapport au nombre et aux besoins des fidèles, même si leur nombre a tendance à augmenter. Si l’engagement politique ne semble pas concerner l’ensemble de la communauté musulmane, la situation géopolitique internationale et l’importance accrue du terrorisme international changent en partie la position des musulmans en terre d’immigration, tout comme la perspective des observateurs envers l’immigration et les liens – plus supposés que réels – entre islam et politique. Comme ailleurs, le terrorisme d’origine islamiste est surreprésenté dans les médias italiens, avec le risque de généraliser une méconnaissance dangereuse de l’islam.
Parmi les instances politiques, la reconnaissance officielle de la religion musulmane par l’Etat est encore à l’état d’ébauche, à cause des résistances soit du côté italien, soit internes aux communautés musulmanes elles-mêmes. En fait, plusieurs groupements se proposent d’être l’interlocuteur privilégié de l’Etat italien, au nom de la communauté, qu’il représenteraient à travers un accord juridique (intesa). Le noyau dur qui reste, et restera probablement longtemps encore, sur la table des négociations concerne le non-recoupement entre représentation et représentativité (rappresentanza e rappresentatività) d’une communauté islamique fragmentée et hétérogène.