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2024

Abus sexuels au sein de l’Église protestante en Allemagne (EKD) : la fin d’une illusion

  • Février 2024

La publication, le jeudi 25 janvier 2024, d’une étude sur les abus sexuels dans l’Église protestante allemande (la fédération des Églises protestantes régionales luthériennes, réformées et unies, EKD) a provoqué une onde de choc pour cette dernière. « Journée noire pour l’Eglise protestante », mais « journée positive pour les victimes », a déclaré Detlev Zander, aujourd’hui âgé de 60 ans, victime d’abus sexuels au sein de l’EKD dès son plus jeune âge.
Cette étude indépendante de 864 pages, menée durant trois ans par des chercheurs issus de huit instituts de recherche, commandée et financée par l’EKD à hauteur de 3,6 millions d’euros, lève le voile sur les violences sexuelles perpétrées sur des mineurs - au moment des faits - au sein de l’Église protestante et de ses services d’aide sociale (Diakonie) entre 1946 et 2020. D’après l’équipe chargée de cette étude, le nombre de victimes d’abus sexuels s’élèverait à 2225 et celui des auteurs à 1259, si l’on s’en tient aux documents mis à disposition par les 20 Églises régionales de l’EKD. Il ne s’agit là que de « la « partie émergée de l’iceberg » selon Martin Wazlawik, spécialiste des questions de violences sexuelles sur les enfants et les adolescents, qui a coordonné cette étude et estime que le nombre réel de mineurs victimes d’abus serait supérieur à 9000 et que celui des auteurs présumés avoisinerait les 3500. Il a déclaré qu’il n’était pas possible de fournir un tableau complet des abus sexuels au sein de l’Église protestante, dans la mesure où une seule parmi les 20 Églises régionales (Landeskirchen) concernées a donné librement accès à l’équipe de chercheurs à tous les documents et archives dont elle disposait.
Annette Kurschus, pasteure et théologienne protestante, élue le 9 novembre 2021 à la tête du Conseil de l’Eglise protestante allemande pour six ans, avait déclaré lors de sa prise de fonction que la question des violences sexuelles était une des priorités de l’EKD. À la suite d’accusations selon lesquelles elle aurait couvert un cas d’abus sexuels de la part d’un de ses collaborateurs, lorsqu’elle était pasteure dans une paroisse à Siegen à la fin des années 1990, elle a démissionné le 20 novembre 2023 de ses mandats de présidente du Conseil de l’EKD et de présidente de l’Église protestante de Westphalie.
La présente étude révèle que les cas d’abus sexuels à grande échelle ne concernent évidemment pas seulement l’Église catholique et qu’ils ne représentent pas des cas isolés au sein de l’EKD, mais qu’ils sont liés aux structures et à l’organisation de l’institution. Si les autorités protestantes ont longtemps pensé ou laissé accroire que l’EKD était au-dessus de tout soupçon, sous prétexte que la question du célibat ne se pose pas pour les pasteurs, les auteurs de l’étude ont identifié parmi les facteurs de risque la question de « l’abus de pouvoir des pasteurs », ainsi qu’un manque de clarté quant à la délimitation entre sphère privée et professionnelle, favorisant une culture du silence entretenue par les relations professionnelles et souvent personnelles des salariés de l’institution entre eux. Ils voient également dans la structure fédérale de l’EKD un obstacle à la transparence des procédures et des décisions.
Kirsten Fehrs, actuellement présidente du Conseil de l’EKD, a appelé à un « changement de posture et de culture » au sein de l’Église protestante. Cette dernière ne pourra se soustraire à un processus d’autocritique et de réflexion sur les conditions structurelles et les facteurs systémiques ayant rendu possibles de tels abus et leur dissimulation. Reste à voir si elle saura donner un espace de parole aux victimes et prendre en compte leurs témoignages accablants sur les violences qu’elles ont subies et sur le silence auquel elles se sont heurtées. Le montant des indemnisations, le choix des experts, la participation insuffisante des victimes, etc., voilà autant de questions auxquelles l’EKD devra également faire face sans tarder.

Voir aussi : Deutschlandfunk, Deutsche Welle, Zeit Online, Frankfurter Allgemeine.

D 14 février 2024    ASylvie Toscer-Angot

CNRS Unistra Dres Gsrl

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