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2018

  • Novembre 2018 : tolérance face à l’interdiction du blasphème

Entre juin et août 2018, l’homme politique d’extrême droite néerlandais Geert Wilders a organisé un concours de caricatures du prophète de l’islam Mahomet. Ce concours, censé se tenir dans les bureaux de M. Wilders au sein du parlement néerlandais, a suscité de nombreuses protestations parmi les musulmans du monde entier, en particulier au Pakistan. Des demandes de fermeture de l’ambassade des Pays-Bas au Pakistan ont été suivies de menaces de boycott de produits néerlandais, puis de l’annulation d’une mission commerciale néerlandaise au Pakistan. Fin août, une marche de protestation a rassemblé 10 000 musulmans dans la capitale, Islamabad ("Muhammad cartoon contest in Netherlands sparks Pakistan protests", The Guardian, 29 août 2018). À peu près au même moment, en Afghanistan, les talibans ont publié un appel à la violence contre les militaires néerlandais stationnés dans ce pays. Pendant ce temps, aux Pays-Bas, un Pakistanais était arrêté pour avoir planifié le meurtre de M. Wilders ("Far-right Dutch MP cancels Muhammad cartoon competition", The Guardian, 30 août 2018). Ce n’est qu’à ce moment-là que ce dernier a annoncé annuler le concours, évoquant des raisons de sécurité publique ("Geert Wilders cancels Prophet Muhammad cartoon contest", Al Jazeera, 30 août 2018).

Dans sa réaction officielle, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a qualifié le concours de caricatures d’« irrespectueux », mais a également défendu le droit de M. Wilders à l’organiser, au nom de la liberté d’expression.

La valeur de la liberté d’expression est étroitement liée à la valeur de la tolérance. Aux Pays-Bas, la tolérance est devenue à partir de 1960 l’un des piliers de la perception que les Néerlandais ont d’eux-mêmes (Versteeg, P. G. A., "The discovery of Dutch identity. A critical exploration", Dutch Reformed Theological Journal, 53-2, 2012, 59-66).

La valeur de tolérance a été redéfinie lorsque le climat politique du pays a changé après le 11 septembre 2001, les citoyens craignant que les musulmans n’abusent de la tolérance néerlandaise. Les libéraux ont alors réintégré cette valeur dans une attitude d’inclusion des différences, tandis que les populistes ont soutenu que les personnes non tolérantes ne devaient pas être tolérées (Versteeg, 2012). C’est cette deuxième voie que Geert Wilders a suivie en réclamant de la tolérance au nom de la liberté d’expression pour son concours de caricatures. Son attitude pouvait toutefois être considérée comme irrespectueuse (et non tolérante) par rapport à l’interdiction, dans la communauté musulmane, de représenter le prophète Mahomet. La réaction du Premier ministre reflète donc la place centrale de la tolérance dans l’identité nationale néerlandaise, tandis que la provocation de M. Wilders témoigne de l’évolution de l’interprétation de cette valeur dans cette identité depuis le 11 septembre 2001.

En outre, l’une des questions importantes en jeu était que le blasphème n’est pas interdit aux Pays-Bas, contrairement au Pakistan et à l’Afghanistan (A. E. Theodorou, "Which countries still outlaw apostasy and blasphemy ?", Pew Research Center, 29 juillet 2016). Les lois étant le reflet des valeurs d’une société, cela pourrait expliquer pourquoi les manifestations au Pakistan et en Afghanistan ont cristallisé bien plus d’attention que celles aux Pays-Bas. La communauté musulmane des Pays-Bas s’est peut-être adaptée au contexte néerlandais, où la valeur de la tolérance prend parfois le pas sur celle de la liberté de culte.

D 13 novembre 2018    ACéline Garnier

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